Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 avril 2018 1 02 /04 /avril /2018 07:55

J'intègre à ces carnets un article  paru il y a déjà plus d'un an dans Agora Vox. Bien sûr nous sommes très loin des "primaires de gauche" mais pas de la "guerre de Hollande" que Macron poursuit sans vergogne. En une du Monde diplomatique d'avril, Serge Halimi signe un billet au titre dénonciateur : "Permis de tuer". Tant que ce permis là s'exercera sans scrupules par des pays occidentaux comme la France, chacun devra monter au créneau pour le dénoncer....

.........................................................................................................................................................

 

A peine plus de six mois après son arrivée à l’Elysée, Hollande a fait entrer la France en guerre. A cinq mois de quitter le pouvoir, il la laissse toujours engagée dans un conflit dont l’atrocité s’amplifie chaque jour et dont les contrecoups sur notre sol menacent d’être toujours plus redoutables alors que règne un état d’urgence dont on n’entrevoit pas la fin. La gauche qui vient de voter le prolongement de cet état et qui a accepté cette guerre avec une complaisance rarement vue dans son histoire, va-t-elle enfin accepter d’en débattre au moment où les primaires lui en donnent l’occasion ? Ce n’est pas, hélas, l’impression que l’on a.

Pourtant dans cette espèce de « discours de renonciation » par lequel Hollande annonçait ne pas être à nouveau candidat à la présidentielle, il présentait ce que l’on peut appeler sa guerre d’une façon qui est une véritable insulte à la logique et à la chronologie. Ecoutons-le. « J’ai engagé, dit-il, nos forces armées au Mali, en Centrafrique, en Irak, en Syrie pour défendre nos valeurs et pour combattre le terrorisme qui nous avait frappés et qui nous menace encore – frappés à Paris, à Saint-Denis, à Nice et tant d’autres lieux ensanglantés. » Cette phrase met indubitablement en relation les attentats contre les journalistes de Charlie-Hebdo, contre le public du Bataclan ou contre les passants de la Promenade des Anglais à Nice avec les attaques aériennes et terrestres au Mali, l’invasion partielle du Centrafrique et les frappes en Irak et elle établit par l’emploi des temps grammaticaux un rapport logique précis de cause à conséquence. Ainsi l’action de Hollande (« j’ai engagé les forces armées ») est présentée comme la conséquence politique logique d’actes terroristes qui auraient eu lieu antérieurement (« le terrorisme islamiste qui nous avait frappés »). L’emploi du plus que parfait après le passé composé ne laisse aucune ambiguité de sens.

Or cette présentation fait fi de la chronologie et inverse totalement les choses. Les actes terroristes ne sont pas antérieurs mais postérieurs. Les frappes aériennes au Nord Mali commencent le 11 janvier 2013. L’attentat contre les journalistes de Charlie-Hebdo, première manifestation du « terrorisme islamiste » à laquelle peut faire allusion Hollande, a lieu le 7 janvier 2015 soit près de deux ans après. A ce moment-là le Centrafrique est déjà en partie occupé par les troupes françaises de l’opération Sangaris et, avec l’opération Chammal qui débute en septembre 2014, les frappes ont commencé contre l’État islamique en Irak depuis quatre mois. Dire que les attentats sont la riposte aux attaques multiples des armes françaises du Mali en Irak contre des positions djihadistes est une affirmation osée mais tenable. Prétendre le contraire et que c’est la France qui se défend et riposte en 2013 est, en revanche, une véritable tromperie.

Mais le mensonge de Hollande qui atteint son acmée dans le discours du 1° décembre ne consiste pas seulement à nous faire prendre les effets pour les causes et à se montrer comme contraint à une riposte quand il a pris toute la responsabilité d’une attaque (« j’ai engagé les forces françaises »). Il est aussi de bafouer les valeurs qu’il prétend défendre (« pour défendre nos valeurs »). Dès le départ il affirme son mépris total de l’adversaire et de sa vie en confondant la lutte contre les djihadistes du Mali avec la « destruction de terroristes ». Et il passe des paroles aux actes. Au conseil de défense du 11 janvier ainsi que l’indique jean-Claude Notin dans son ouvrage « La guerre de la France au Mali », il surprend les militaires en leur laissant « tir libre ». Le témoignage du maire de Konna et d’un journaliste malien indiquent que plus de 500 rebelles périront les deux premiers jours de bombardement (1) soit un nombre supérieur à celui de toutes les futures victimes des attentats terroristes en France. Dès juillet 2013, 260 bombes dont beaucoup de 250 kg seront larguées sur le Mali, pulvérisant ou brûlant atrocement les occupants des pick up ou ceux qui simplement formeront un attroupement repérable. Dans le massif des Ifoghas, les rebelles survivants seront traqués comme des bêtes et le plus souvent tués. Des expéditions seront organisées pour supprimer les chefs en exterminant leur garde. C'est ainsi qu'Abou Zeid, commandant d'AQMI, est tué avec 43 autres djihadistes après repérage de son convoi dès le 23 février 2013. A la suite des révélations même de Hollande, il a été envisagé de déposer plainte contre lui devant la CPI pour quatre assassinats ciblés constitutifs de crimes de guerre (2). L’opération Barkhane qui prolonge et étend hors des frontières du Mali l’opération Serval devient, selon le mot de l’ancien diplomate Laurent Bigot dans un article de novembre 2015 (3), un véritable « permis de tuer au Sahel ».

Si le nombre des combattants de l’État islamique tués en Irak ou en Syrie par les frappes de la coalition atteint en deux ans le total énorme de 50.000 selon un responsable américain de la défense (4), le chiffre des civils tués par ces mêmes frappes ne serait pas inférieur à 1900 selon l’ONG Airwars basée à Londres (4). Difficile bien sûr de dire quelle part prend précisément la responsabilité de Hollande dans ce terrible bilan humain mais la violence des raids de représailles qui ont visé la banlieue de Raqqa après les attentats de Paris témoigne assez qu’elle est lourde. Le soutien qui est donné aux assaillants de Mossoul (gouvernementaux irakiens et milices chiites) par les frappes aériennes françaises témoigne aujourd’hui même de la responsabilité du président français dans le martyr que subit cette ville sunnite d’Irak alors que ce même président s’autorise à faire la leçon à Assad et Poutine pour les bombardements que vient de subir Alep, ville sunnite de Syrie. On aura rarement sans doute poussé l’impudence aussi loin et porté ainsi atteinte au crédit de la France en matière de droit international et de de souci humanitaire.

La politique africaine et arabe de Hollande se confond comme celle des Etats-Unis avec celle de la cannonière et associe de plus en plus la France à la croisade américaine contre l’islam politique radical au nom d’une prétendue « guerre contre le terrorisme » telle qu’elle a été initiée par Georges Bush. Au nom de cette guerre ou sous son prétexte, l’armée française est en train de retrouver dans les anciennes colonies d’Afrique noire la même liberté qu’elle avait avant la décolonisation. Abandonnée en 1961 conformément aux voeux du Mali tout juste indépendant, la base coloniale de Tessalit est remilitarisée par la France. Au-delà, c’est la soumission politique et économique de l’ancienne A.O.F. qui est confortée tandis qu’empire la politique dite de la « Françafrique ».

N’est-il pas temps avec les primaires ouvertes encore pour une quinzaine que le débat s’engage à gauche vis-à-vis d’une politique étrangère bien étrange par rapport à ses idéaux ? Certes de Valls dont la soumission à l’impérialisme américain est telle qu’il a soutenu en 2003 l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis et qui, comme premier ministre de Hollande, a été à la pointe de sa politique belliqueuse et néocolonialiste, on n’attend pas qu’il se transforme et se déjuge. Mais on peut au moins espérer qu’Arnaud Montebourg et Benoit Hamon qui veulent en revenir aux vraies valeur de gauche ne se cantonnent pas aux questions de politique intérieure, qu’ils aient aussi à coeur de considérer vraiment le rôle de la France dans le monde, la nécessité d’accéder à une indépendance véritable vis-à-vis de tout bloc, de redonner ses chances à la diplomatie en faisant taire les armes, de reconsidérer les relations Nord-Sud et d’aller vers cette égalité et ce respect mutuel sans lesquels il ne saurait y avoir de paix durable et juste. Et puis, comme il s’agit aussi de se démarquer de la politique d’un homme qui s’est complu dans l’exercice solitaire du pouvoir, de faire en sorte que demain la politique étrangère de la France soit davantage celle des citoyens.

 

1-Article d’Afribone.com du 27 février 2013 et article : « La bataille de Konna » sur Wikipedia

2-Article : « Assassinats ciblés : Hollande bientôt devant la cour pénale internationale ? » Sputnik du 15-11-2016

3- Article :« L’opération « Barkhane » : un « permis de tuer » au Sahel. » de Laurent Bigot, Le Monde.fr 2-11-2015

4- « En Irak et en Syrie, au moins 50.000 combattants de l’E.I. tués depuis 2014 » ; L’Express.fr 09-12-2016

 
Partager cet article
Repost0
2 avril 2018 1 02 /04 /avril /2018 07:39

Stanislas Dehaene qui prétend avoir déchiffré le "code de la conscience" et qui croit que l'on pourra bientôt construire des automates conscients est devenu président d'un conseil scientifique de l'éducation. Ainsi une conception tout à fait rustre de la conscience qui prévaut déjà pour la recherche risque maintenant d'orienter toute la pédagogie officielle. Contre les affirmations péremptoires du neuroscientifique, j'ai défendu une conception de la conscience toute autre. Il est temps de préciser ce que pourraient être ses éléments fondamentaux.

 

...........................................................................................................................................

 

« Le générateur de conscience peut être un objet simple », ai-je écrit dans mon dernier article (1). Cet objet simple cependant appartient au monde des vivants. Ce peut être un animalcule comme le nématode C Elegans qui a 303 neurones. Pour dire qu’un si simple animal puisse être conscient, il faut s’appuyer fondamentalement sur une réalité simple. Cette réalité simple, c’est celle de l’énergie.

L’énergie au sens physique du mot est ainsi définie : « caractéristique que possède un système s’il est capable de produire un travail ». Le coureur que j’évoquais rebroussant chemin pour fuir l’odeur de lisier ou le nématode fuyant la concentration de quinine sont des systèmes effectuant un travail. Ce travail s’accompagne d’une dépense d’énergie mesurable en joules ou en calories. Mais la cause de ce travail, ce n’est pas l’énergie physique dépensée, c’est l’énergie psychique ressentie.

Nous ne pouvons pas parler du ressenti du nématode mais nous pouvons parler de celui du coureur. Malaise intense lié à l’odeur délétère, désir de supprimer ce malaise, volonté d’agir pour s’éloigner de la source nauséabonde, effort enfin qui soutient l’action corporelle effectuée : arrêt, volte-face, nouveau départ. Malaise (ou mal être ou douleur), désir, volonté, effort, telle est la succession logique en ce qu’elle se règle sur un enchaînement de cause à effet qui permet au système global du coureur et sans doute aussi à celui du nématode d’effectuer le travail constaté et mesurable en dépense d’énergie. Ainsi douleur, désir, volonté et effort apparaissent bien comme les états d’une forme d’énergie contenue dans la conscience et qui est l’unique cause de la dépense d’énergie effectuée. Tout se passe donc comme si l’énergie psychique n’était ni plus ni moins qu’une forme transformée de l’énergie au sens physique du mot. Elle est la caractéristique possédée par le système psychique qui lui permet de produire un travail. Si l’intensité du ressenti déplaisant n’existait pas, il n’y aurait pas de travail musculaire pour l’éviter. Notre coureur, atteint d’anosmie, continuerait sa route dans l’odeur nauséabonde.

Il faut être bien clair. Notre corps n’a pas besoin qu’existent des contenus de conscience pour effectuer diverses sortes de travail. D’abord de la circulation du sang à la respiration en passant par la digestion, notre corps multiplie les tâches dépensières en énergie sans que nous en ayons la moindre conscience. Ensuite bien des gestes, des actions que notre corps effectue se font aussi en dehors de la conscience. On peut même, en état de somnambulisme, avoir des comportements qui copient ceux de l’état de veille tout en étant profondément endormi. Mais lorsque nous ressentons une douleur ou un plaisir, éprouvons un désir, avons une volonté, fournissons un effort, l’actualité de notre conscience se confond avec l’actualité d’une force qui existe avant tout par son intensité et par le rapport qu’il y a entre cette intensité et la quantité de travail que nous pouvons effectuer à cause d’elle. Des émotions comme la peur, la colère etc. sont aussi des manifestations d’énergie psychique qui engendrent des comportements violents ou des efforts pour les contenir. Mais au-delà de nos émotions, nos pensées mêmes entrent dans un jeu de forces : affirmation, négation, mise en doute, adhésion etc. sans lesquelles elles n’ont plus accès à notre conscience. Qu’on enlève à la conscience l’intensité de la volonté et de l’affectif et il n’en reste rien.

Il y aurait ainsi des forces fondamentales à la base de la conscience comme il y en a pour supporter la matière. Mais il ne me paraît pas pertinent de penser que ces forces de la conscience existeraient au-delà d’elles, avant elles, présentes dans la nature dès l’origine, associées aux atomes, voire aux particules comme le voudrait une sorte de panpsychisme. En revanche, il me paraît certain qu’il y a des propriétés virtuelles des forces physiques fondamentales qui peuvent s’actualiser dans le psychisme, fût-il rudimentaire, des animalcules et qui supportent en dernière analyse le contenu présent à notre conscience, si élaboré soit-il.

Comment cette actualisation peut-elle se faire ? C’est à cette question que je propose un début de réponse en développant la théorie que j’ai appelé le modulisme (2). Elle présuppose certes la présence dans l’animal d’une structure inconnue qui permettrait le passage du physique au psychique mais elle s’appuie également sur l’existence assurée d’un champ magnétique interne d’une intensité modulée à tout instant par les diverses oscillations des neurones. Du nématode où deux neurones seulement permettent d’induire l’intensité d’un bien être ou d’un mal être en fonction de tel ou tel stimulus au cerveau humain où des milliards d’oscillations orchestrées dans le temps peuvent dessiner la physionomie et la couleur affective d’une sensation perçue, le même mécanisme producteur des forces fondamentales de la conscience (plaisir, déplaisir, désir, effort) me paraît à l’œuvre.

Des philosophes ont utilisé le terme de qualia pour nommer la particularité pure de l’expérience subjective. J’ai parfois quelques scrupules à reprendre ce terme qui ne fait pas apparaître la réalité essentielle de la conscience phénoménale : le champ d’énergie psychique qui la constitue. En tout cas, je le fais mien pleinement lorsque je lis cette phrase du nouveau « président du conseil scientifique de l’éducation nationale » : « Dans quelques décennies, la notion même de qualia, ces quanta d’expérience pure, dépourvus de tout rôle dans le traitement de l’information, sera considérée comme une idée étrange de l’ère préscientifique »(3 )Je ne sais pas, je l’avoue, ce qu’est l’ère préscientifique. Mais je crains, hélas ! de savoir ce qu’est une ère où un savant, péremptoire comme un prophète, qui méprise ou ignore l’objet même de sa science, après être devenu seul maître des recherches en sa matière sera bientôt peut-être seul maître en matière d’éducation…

On n’en est pas là heureusement encore. Mais puisqu’il s’agit ici d’appréhender les constituants fondamentaux de la conscience, appelons à une ère nouvelle où la recherche vraiment libre et ouverte acceptera de prendre en compte une pluralité d’hypothèses. Dont celle du modulisme bien entendu.

 

1-https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-generateur-de-conscience-peut-193182

2-https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-niche-pour-la-conscience-2-2-177798

3- Stanislas Dehaene : Le Code de la conscience

Partager cet article
Repost0
28 mars 2018 3 28 /03 /mars /2018 15:41

 

Complexité et conscience : un mythe

Dans un article paru dans le magazine Cerveau et Psycho de mars 2017 et intitulé : « Tous les animaux souffrent-ils ? », Georges Chapoutier, directeur de recherches au CNRS écrit : « L’écrasante majorité [des animaux] possèdent des mécanismes nerveux d’alerte qu’on regroupe sous le terme de « nociception ». C’est ce qui les rend sensibles aux éléments de leur environnement qui risquent de les blesser, voire de les tuer, comme des excès de chaleur ou d’acidité, de trop fortes pressions, des décharges électriques etc.

A ces signaux, l’animal répond par la fuite ou par un retrait du membre menacé. Chez un certain nombre d’espèces comme les vers, il s’agit sans doute juste d’un réflexe automatique et inconscient. Mais à partir d’un certain degré de complexité comportementale et cérébrale, il est légitime d’envisager une forme de conscience et donc un vécu intérieur de la douleur. »

Ce qui est remarquable dans ces considérations c’est l’a priori qui les sous-tend. Cet a priori pourrait se formuler ainsi : « la douleur consciente est liée à un certain degré de complexité et dans le cerveau de l’animal souffrant et dans son comportement ». Autrement dit la douleur est un produit de la complexité. On retrouve là tout à fait le présupposé connexionniste qui lie l’apparition de la conscience au nombre et à la complication combinatoire des connexions entre les neurones.

Un autre a priori remarquable apparaît dans l’article de Chapoutier, c’est que la douleur dans sa dimension de vécu intérieur sans laquelle bien entendu elle n’a pas d’existence serait une donnée observable, du moins déductible de l’observation. Ces deux a priori se fondent en un seul pour décider qu’un comportement sera ou non révélateur de douleur consciente. Ainsi la simple fuite d’un ver devant une source de chaleur trop forte serait un réflexe automatique et inconscient tandis que le refus du bernard l’hermite d’occuper une coquille associée à des chocs électriques violents permettrait de déduire l’existence d’un vécu conscient de la douleur.

L’idée qu’une réalité nociceptive associée à un vécu douloureux conscient se manifeste par un comportement spécial n’est certainement pas à rejeter a priori. L’idée que ce comportement spécial se caractériserait par une complexité qui le différentierait d’un simple réflexe est également recevable. Mais à la condition que ce comportement soit observé de façon simultanée au moment où le vécu douloureux est censé se produire. Le vécu de la douleur se confond avec le ressenti de la douleur et le ressenti de la douleur s’inscrit dans un temps propre hors duquel il n’existe pas. On peut soumettre le ver comme le bernard l’hermite à des chocs électriques. Comparer la réaction immédiate du premier à la réaction différée du second pour en déduire l’existence d’un vécu intérieur chez le dernier et son absence pour le premier n’a pas de sens.

Le seul moyen pertinent pour montrer que l’existence d’un vécu intérieur douloureux serait directement lié à la complexité des comportements qui lui sont contemporains et pourrait dépendre d’un seuil assez élevé de complexité serait justement de comparer l’expression de la douleur, c’est à dire le comportement directement induit par un signal nociceptif clair et indubitable chez le premier des animalcules doué de mouvement autonome et chez l’homme. Et de montrer que la différence de comportement présente une progression flagrante dans l’ordre de la complexité, de l’intelligence ou de la performance adaptative. Le ver fuit la source nociceptive d’autant plus rapidement qu’elle est forte. L’homme grimace et hurle. On voit mal le progrès. Vus à des distances un peu différentes, un ver et un homme qui brûlent vifs se contorsionnent de même façon.

 

Le coureur de fond et le nématode

Il vaut mieux sans doute pour raisonner juste rester en deçà de ces états extrêmes. Voici un coureur de fond. Il s’entraîne dans la campagne. Sa course le mène à gauche au bord d’un champ ménagé en chemin d’où un sentier bifurque à droite. Il s’est engagé dans le chemin quand une odeur de lisier infecte le prend au nez autant qu’à la gorge. Le voilà qui qui s’arrête brusquement, se retourne, revient sur ses pas, s’engage dans le sentier qu’il avait délaissé sur sa droite et s’éloigne à prestes foulées du champ nauséabond.

Voici maintenant un ver minuscule, le nématode C elegans qui avance en sinuant sous l’objectif du microscope. Il se dirige vers la gauche et c’est de ce côté qu’on instille dans la solution où il baigne une goutte de quinine que notre elegans ne supporte pas. De fait on le voit se retourner et sinuer dans l’autre sens. Le ver fuit la mauvaise substance comme le coureur.

Le nématode C elegans a 303 neurones. Il en a une trentaine qui sont consacrés à la chimiosensation. Il en a deux qui vont réagir spécifiquement aux substances répulsives pour l’animal. Tout le processus qui va de la détection des molécules indésirables à l’action des « bras musculaires » entraînant le mouvement de fuite de l’animal est parfaitement connu sur le plan physique et physiologique. Faire intervenir la notion de vécu douloureux ou déplaisant pour expliquer le comportement de l’animal peut apparaître totalement superflu. En revanche on voit bien comment l’explication psychologique est nécessaire pour comprendre la conduite humaine. L’odeur délétère entraîne un désagrément intense et difficilement supportable. Ce désagrément provoque le vif désir de le voir supprimé. Ce désir engendre la volonté d’agir, pour réaliser cette suppression en se bouchant le nez ou en s’éloignant de la source nauséabonde. Cette volonté fait naître l’effort qui soutient l’action corporelle effectuée : arrêt, volte-face, nouveau départ.

Douleur, désir, volonté, effort : autant de réalités qui ne prennent sens que dans une conscience et qui pourraient même en sembler les constituants essentiels. Dans un premier temps, la formidable différence de complexité qu’il y a entre un organisme comportant 303 neurones et un autre 85 milliards nous persuade qu’on peut bien trouver dans le second des réalités d’une nature totalement distincte de celle qui existent dans le premier. Mais on doit reconnaître dans un second temps que les notions d’intensité, de force et d’énergie communes à ces réalités nous renvoient bien plus à l’idée d’une simplicité brute et primitive qu’à celle d’une complexité élaborée dont elles seraient le produit.

On conçoit que le nématode puisse ne pas se représenter le monde avec la richesse que permet notre système olfactif, auditif ou visuel simplement parce qu’il ne dispose pas des outils pour enregistrer les multiples informations que cela nécessite pour nous. Mais on ne voit pas pourquoi il ne serait pas capable d’éprouver plus intensément de la douleur ou du plaisir, de ressentir plus ou moins fortement du désir, de fournir une plus ou moins grande quantité d’effort puisque ces variations de grandeur ont leur équivalent dans son système physiologique et que ce système fonctionne de façon identique au nôtre.

 

Conscience et énergie

Dès lors que l’on convient de voir la substance de la conscience comme une forme d’énergie particulière : l’énergie psychique, on peut considérer qu’un organisme aussi simple que le nématode peut être un générateur de conscience. On me dira que j’emploie le mot énergie par image, que le mot ne recouvre aucunement ici une réalité matérielle, qu’il n’a pas de pertinence en matière scientifique. Mais quelle définition scientifique de l’énergie nous donne le dictionnaire ? Celle-ci : « caractéristique que possède un système s’il est capable de produire un travail ». Notre nématode comme notre sportif, confrontés à la source nociceptive, vont chacun effectuer un certain travail musculaire produisant la modification de leur comportement. Or le système qui produit le travail est bel et bien le système psychique chez le coureur. Sa caractéristique sera d’engendrer la douleur, puis le désir, puis la volonté, puis l’effort dans la continuité qu’on a évoqué plus haut. Si notre coureur était atteint d’anosmie, il ne s’arrêterait pas, ne rebrousserait pas chemin, continuerait sa course au bord du champ dans l’odeur pestilentielle. C’est donc bien l’énergie de la sensation psychique qui est la cause du travail effectué.

Bien sûr l’énergie de la sensation qui produit le travail du comportement réactif n’est pas une énergie créée. Elle est une transformation d’énergie seulement. Le comportement réactif s’accompagne d’une dépense d’énergie mesurable en joules. Et cette dépense s’accompagne d’une perte dans le système physiologique global. Le coureur va perdre une portion de calorie. Il n’y a pas création d’énergie mais il y a transformation. Une certaine quantité d’énergie physique va devenir énergie psychique pour redevenir énergie physique dans le travail musculaire.

Il ne s’agit certainement pas de dire que toute action, tout mouvement du corps impliquant forcément une dépense calorique implique aussi forcément un processus de transformation d’énergie du physique vers le psychique et inversement. Les mouvements réflexes, inconscients, cela existe. On peut s’agiter pendant le sommeil alors qu’on est en total état d’inconscience. On peut même avoir en état de somnambulisme des comportements assez coûteux en énergie. Mais l’inverse ne me paraît pas vrai. Toute sensation, tout ressenti de désir, toute volonté, tout effort implique une certaine dépense d’énergie qui se trouve ainsi transformée.

 

Du physique au psychique : la voie possible d’une transmutation

Par quel biais se fait cette transformation d’énergie ? Voilà bien la question essentielle qui m’intéresse et qui me fait revenir vers le nématode avec une sourde émotion. Dans ce microgramme de matière translucide, le mystère de l’âme peut ne plus être obscur. En tout cas le raisonnement sur la cause d’une volte-face devient des plus simples. Quand l’anosmie du coureur pouvait mettre en cause telle zone du bulbe olfactif ou telle région du cortex supérieur et concerner ainsi des milliers de neurones, l’absence d’une seule paire de neurones suffit à empêcher notre ver de fuir la mauvaise substance. Pourvu de ces deux neurones AWB le nématode C. Elegans fuit la concentration de quinine. Si on détruit ces deux neurones par une intervention au laser, il ne la fuit plus.

Les deux neurones AWB ne se baladent pas dans le corps du nématode comme des électrons libres. Ils sont reliés à des détecteurs, à d’autres neurones chimiosensoriels, à des « bras musculaires » qui permettent le mouvement, ils sont intégrés à tout un réseau de connexions et les potentiels d’action libérés par leur activité dans le réseau peuvent apparaître comme la cause effective des mouvements de fuite du ver. A ce moment-là on fait l’impasse sur le malaise ressenti par l’animal ou on considère ce dernier ainsi que le font élégamment les connexionnistes comme une réalité émergente des processus bio-chimiques en œuvre.

En revanche, si on se place dans l’hypothèse moduliste que j’ai déjà présentée ailleurs (1), on admet que l’activité oscillatoire des neurones AWB produit une modulation du champ magnétique telle qu’elle provoque dans une structure de l’animal sensible à cette modulation un ressenti douloureux d’une intensité donnée. Et ce serait l’énergie de ce ressenti qui serait la cause de la fuite du nématode, sachant que, si l’activité des deux neurones qui provoquent ce ressenti n’existait pas, la fuite de l’animal n’aurait pas lieu.

S’il existe chez C Elegans une paire de neurones pour sentir les composés répulsifs, il en existe une autre pour sentir les composés attractifs, les deux neurones AWA. Les neurones AWA occupent une place différente dans le réseau sensorimoteur de celle des neurones AWB. Cette différence de la place de chaque paire permet d’admettre facilement que leur activité produise un effet différent, opposé en l’occurrence. Si l’on veut que cet effet comportemental opposé (attraction au lieu de fuite) s’accompagne d’un ressenti opposé dans le cadre de l’hypothèse moduliste, il faut nécessairement que les deux neurones « attractifs » ne déchargent pas de la même façon que les deux neurones « répulsifs » afin que la modulation du champ soit différente.

Place aux expériences donc. Si elles sont concluantes, s’il est avéré que la modulation des décharges neuronales ne sont pas les mêmes quand le ver mime l’attirance ou la répulsion, le plaisir ou le déplaisir, alors on aura fait un grand pas dans une voie nouvelle d’appréhension des choses. Une voie où la conscience apparaîtrait non quasiment au terme d’un processus d’évolution extrêmement long et complexe mais quasiment dès l’origine du système cérébral. Le générateur de conscience pourrait être un objet simple, un organisme ne possédant que quelques neurones.

Mais alors les explications biochimiques révéleront leur limite et ce que l’on connaît des propriétés fondamentales de la matière se montrera insuffisant. Que la modulation du champ magnétique puisse produire l’énergie de la conscience au contact d’une structure matérielle incluse dans un animal, c’est ce qu’il faudra bien parvenir à penser et à établir. On a conçu des piles électriques, on a conçu des piles nucléaires, on se prépare à construire des piles thermo-nucléaires en tenant compte à chaque fois de propriétés différentes de la matière fondamentale que nous avons découvertes. Reste à savoir comment la nature a pu construire des piles à conscience à l’aube de son évolution et à l’aide de ses lois premières. Des piles simples mais semblables à celle qui en nous nous fait sentir, désirer et vouloir bien avant de nous faire penser.

 

1-http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-niche-pour-la-conscience-1-2-177716et http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/une-niche-pour-la-conscience-2-2-177798

Partager cet article
Repost0
4 août 2015 2 04 /08 /août /2015 02:33

Le livre au titre choc de Stanislas Dehaene annonce un ouvrage marquant. Et « Le Code de la Conscience » publié fin 2014 aux éditions Odile Jacob est à n'en pas douter un traité scientifique de poids dans le domaine de la neurobiologie. C'est aussi un essai philosophique d'envergure à l'ambition claire et dès l'abord dévoilée. Savoir si cette ambition a atteint son but, c'est une autre question.

Un traité substantiel

Le traité nous fait cheminer avec clarté dans des ténèbres qu'on a pensé très longtemps impénétrables : le mystère de la conscience présente. L'I.R.M. (imagerie fonctionnelle par résonance magnétique), l'EEG (électroencéphalographie) et la MEG (magétoencéphalographie) sont les phares de cette exploration que permet encore d'étendre la pose de fines électrodes à l'intérieur du tissu cérébral. Ainsi peuvent être visualisées toutes les réactions du cerveau liées à la présentation à un sujet de stimulus sensibles. Par un protocole d'expérience ingénieux, Dehaene et son équipe ont pu ainsi comparer les réactions du métabolisme cérébral en fonction de stimulus principalement visuels qui entraînaient ou non une perception consciente chez un lot de patients. Ils ont ainsi mis à jour que certains stimulus, brefs et « masqués », dont on pouvait suivre l'effet à la trace jusque dans le cortex supérieur et dont les réactions du sujet témoignaient qu'ils avaient été compris pouvaient ne pas entraîner d'expérience subjective. En un mot que le cerveau pouvait enregistrer l'information contenue dans une image, la présentation d'un nombre par exemple, sans que le sujet ait eu conscience d'avoir vu l'image. Ils ont ainsi établi assez clairement l'existence d'un fonctionnement cérébral inconscient qui pouvait même être lié à l'élaboration de la pensée abstraite.

Par contraste, ils ont pu discerner dans l'activité neurale induite par des stimulus qui font accéder à des perceptions conscientes ce que Dehaenne appelle les « signatures d'accès à la conscience ». La première est un « embrasement » de nombreuses régions du cortex où les neurones entrent en forte activité. Cet embrasement est aussi assimilé à une « avalanche » car l'activation ne cesse de s'amplifier, de gagner en force au fur et à mesure de sa progression. A partir de ses expériences sur la perception d'une image, Dehaene met en lumière l'existence d'une seconde « signature », l'onde P300. 300 millisecondes après l'apparition du stimulus, une intense onde d'électricité positive parcourt en effet le cerveau de l'arrière vers l'avant. Une troisième signature de la conscience se manifeste par une longue activité de haute fréquence proche de l'activité gamma (40 Hertz). Enfin, et ce serait là une quatrième signature de la conscience, il y a une synchronisation massive des signaux électromagnétiques du cortex, les neurones appartenant à des régions cérébrales très éloignées se mettant à osciller dans la même bande de fréquence.

Connaître les « signatures » de la conscience ne manque pas d'avoir des applications pratiques d'importance majeure que Dehaene détaille aux chapitres 6 et 7 (« l'heure de vérité » et « l'avenir de la conscience »). Il montre en particulier comment le repérage de l'onde P300 peut permettre de distinguer pour les patients dans le coma ceux qui sont dans un état végétatif et ceux qui sont dans un état de conscience minimale alors que le diagnostic médical n'est souvent pas déterminant. Des questions jusqu'alors vivement débattues comme la présence ou l'absence de conscience chez le très jeune enfant paraissent en passe d'être tranchées : la conscience serait contemporaine de la naissance. Un test de la conscience auditive mis au point par Dehaene et son équipe a permis de certifier que le cerveau du singe présente une signature de la conscience. « Des recherches pilotes menées par le chercheur français Karem Benchenane suggèrent que même la souris pourrait réussir ce test » (1). Surtout, là où la question de l'accès à la conscience se pose, la recherche, à partir des signatures de la conscience, pourrait permettre des actions thérapeutiques cruciales dont la principale est bien sûr d'entraîner le retour à la lucidité des comateux chez qui on a pu détecter un état de conscience minimale. Des résultats prometteurs ont d'ores et déjà été observés.

Des a priori philosophiques

Si le traité scientifique provoque l'admiration et suscite l'adhésion, l'essai philosophique, lui, est plus discutable. La façon dont Dehaene donne les pleins pouvoirs à la neurobiologie matérialiste pour parler de la conscience peut paraître expéditive. Certes Descartes a droit à quelques pages attentionnées mais c'est pour dire que le philosophe était un neurobiologiste sans le savoir et que son dualisme était soit un opportunisme dans un temps où l'athéisme était persécuté soit la conséquence d'une vision trop mécaniciste du corps. La machine corporelle qu'il avait conçue aurait eu besoin d'une autre substance que la matière pour donner à l'esprit la liberté qu'on lui reconnaît. Le dualisme de l'Américain Eccles ayant osé postuler que « l'âme immatérielle agit sur la matière du cerveau » est assassiné en deux lignes. Un court paragraphe suffit pour rejeter la proposition « baroque » de Penrose faisant état d'une exploitation par le cerveau de la superposition des états quantiques.

Je n'ai nullement l'intention de défendre le dualisme de Eccles qui fait d'ailleurs référence comme Penrose à la physique quantique. Dehaene a raison de dire que ni l'un ni l'autre ne s'appuient sur la « moindre donnée de neurobiologie ou de science cognitive ». Je note cependant qu'ici comme ailleurs les neurobiologistes qui se veulent strictement matérialistes ont tendance à croire que la matière commence avec les molécules organiques et que ce qui se situe au niveau de l'atome ou en dessous dans les particules élémentaires, dans le spin des électrons, dans la force nucléaire forte ou gravitationnelle doit être a priori exclu d'un système d'explication de la conscience.

Le dédain de l'affectif

Ce « neurobiocentrisme » est loin toutefois d'être ce qui me gêne le plus. Ce qui m'alerte c'est la volonté de Dehaene de s'emparer de la conscience et de la nettoyer de tout contenu affectif. La façon dont il parle de la conscience phénoménale, des qualia est sans appel : « Dans quelques décennies, la notion même de qualia, ces quanta d'expérience pure, dépourvus de tout rôle dans le traitement de l'information sera considérée comme une idée étrange de l'ère préscientifique. » (2) Or, pour en rester au seul plan des sensations, les qualia ne se réfèrent pas seulement à leur qualité particulière mais à leur contenu affectif marqué quantitativement (un bruit est plus ou moins fort, une lumière plus ou moins vive) et affectivement (une sensation est plus ou moins plaisante ou plus ou moins douloureuse). Prétendre expliquer la conscience sans expliquer le plaisir et la douleur en tant que réalités subjectives ne me paraît pas pertinent. L'affectivement neutre n'existe pas dans la conscience, quelle que soit l'illusion qu'on en ait.

Sans doute l'image visuelle est-elle l'objet de conscience sensible le moins sensuel que nous puissions percevoir, très loin de l'odeur sur ce plan en tout cas. Mais, si nous l'examinons, nous la voyons composée de grains de couleur ou de lumière qui coexistent en son sein avec chacun sa particularité propre et sa valeur affective. Une image est faite d'une myriade de micro-affects même si on ne la retient comme Dehaene que pour être le support d'un chiffre ou de la graphie d'un nom, c'est à dire que le support d'une information abstraite. L'image justement avant d'être le support d'une information (ce qu'elle est à l'occasion, ce qu'elle n'est pas par essence) est la concrétisation d'une énergie affective.

En quoi cette forme d'énergie est-elle la transformation d'une autre ? Et quel phénomène permettrait cette transformation ? C'est ce sur quoi Dehaene ne s'interroge pas et ce sur quoi on ne peut pas ne pas s'interroger si on ne veut pas parler de la conscience comme d'une forme vide. La réflexion ici, je le sens bien, risque d'être complexe, périlleuse ou oiseuse. Mais il est des moments où le raisonnement par analogie peut être un recours éclairant. Dehaene nous en fournit un des deux termes : « Lorsque nous regardons un vieil écran de télévision muni d'un tube cathodique, l'image clignote cinquante ou soixante fois par seconde et l'enregistrement des neurones du cortex visuel montre qu'ils clignotent à la même fréquence. »(3) Gardons le chiffre de 50 fois par seconde et donc la durée de 40 millisecondes comme correspondant à une image (4). Nous pouvons toujours considérer qu'il y a correspondance entre deux éléments. Le premier serait un certain segment d'onde électromagnétique d'une longueur d'environ 6000 km (5). Ce segment d'onde est modulé en amplitude de façon particulière induisant la forme particulière de l'image reçue par l'écran. Le second serait un certain état des oscillations coordonnées de neurones se prolongeant de façon fixe pendant 40 millisecondes et induisant la forme particulière de l'image perçue par la conscience. Il y a à chaque fois un signal et une image. Il y a à chaque fois aussi l'état initial d'un objet et son état final. Cette façon de voir permet d'apprécier la transformation des substances (c'est à dire des formes d'énergie) qui conduisent à l'actualisation de l'objet -image. Dans le cerveau, c'est le mystère. Dans le vieux téléviseur, c'est relativement aisé à décrire si l'on simplifie. Capté par l'antenne, le segment d'onde qui a pour substance l'énergie électromagnétique se transforme après entrée dans le démodulateur en une variation d'intensité électrique de 40 millisecondes. Cette variation d'énergie électrique fera, pendant 40 millisecondes toujours, varier l'énergie cinétique d'un flux d'électrons projeté dans le tube cathodique. Ce flux d'électrons balaye la face interne de l'écran de gauche à droite et de haut en bas pendant toujours 40 millisecondes. Donc on a passage de l'énergie électromagnétique à l'énergie électrique et de l'énergie électrique à l'énergie cinétique .

Et après ? L'image virtuelle devient-elle actuelle automatiquement sur l'écran qu'on regarde ? Eh bien, non. Si l'écran n'est que du verre opaque, il reste noir sinon d'un gris verdâtre. Pour que l'image y apparaisse, il faut autre chose. Il faut que chaque ligne de la face interne de l'écran soit tapissée d'une centaine de photophores. Sans ces minuscules appareils, l'énergie cinétique du flux d'électrons ne peut être transformée de façon modulée en énergie lumineuse. Tout le cheminement ingénieux s'arrête court. Et l'image reste virtuelle, désespérément. Ainsi donc électromagnétique, électrique, cinétique, puis lumineuse, l'énergie ne subit pas moins de trois transformations avant de devenir substance de l'image. Et selon des processus à chaque fois différents, rigoureux et précis. Tout en étant instantanés. Des neurones qui oscillent avec un rythme particulier et sûr à l'image qui jaillit dans notre conscience, ne pourrait-il pas en être ainsi ?

L'intégration, un leurre intellectuel.

Mais ce n'est pas en tout cas ce qu'envisage Monsieur Dehaene qui semble nettement préférer le numérique à l'analogique pour expliquer la conscience.Cette machine dont il aurait déchiffré le code, il se voit prêt à la construire comme un ordinateur amélioré : « Dans une machine consciente, il faudrait avant tout que les programmes puissent communiquer entre eux avec une grande flexibilité. [ ...]. Les ordinateurs actuels interdisent généralement ce type d'échanges [...] Seule exception : le presse-papiers, qui permet un copier-coller d'une application à l'autre [...] L'architecture envisagée permettrait d'augmenter massivement la flexibilité des échanges d'informations, en fournissant une sorte de presse-papiers universel et autonome : l'espace de travail global. »(6) La trivialité de l'expression : « presse-papiers » pour désigner le générateur de conscience s'accorde ici avec la légèreté de l'idée. Le seul fait de compiler en les faisant se joindre des idées imprimées de façon disjointes dans le cerveau en ferait jaillir comme par pression la conscience.

Bien sûr cette compilation va de pair avec une organisation synthétique que Dehaene appelle : « intégration ». Or ce mot d'intégration strictement appliqué par Dehaene à la façon dont s'agrègent et s'ordonnent des éléments informatiques pour produire un percept sensible comme une image me paraît un leurre intellectuel. Que les assemblées de neurones en coordonnant leur activité nous permettent d'interpréter une scène, d'en distinguer les éléments, de les nommer etc., c'est une chose. Qu'elles produisent à partir d'informations sur les couleurs, la luminosité, la direction des lignes, l'étendue des surfaces, leur distance etc. la disposition de points de couleur dans l'espace de la conscience, c'en est une autre qui, pour moi, n'est pas acceptable. Sans doute l'image mentale dont l'existence est indéniable pose-t-elle des problèmes particuliers qu'il conviendrait d'examiner isolément.(7) Mais pour comprendre comment se forme l'image à partir des stimulus externes, le recours à la mise en commun d'éléments d'analyses distinctes ne peut déboucher que sur du vide : l'absence justement des points de couleur. Dehaene écrit : « Lorsque nous contemplons la Joconde, notre conscience ne nous donne jamais à voir une sorte de Picasso éviscéré dont les mains, les yeux et le sourire magique tireraient à hue et à dia . »(8) Il croit argumenter ainsi pour dire que le phénomène par lequel l'image vient à la conscience est le produit du bon ajustement et de la bonne coordination de données séparées provenant de moteurs d'analyse divers. C'est oublier que ces moteurs peuvent, l'un ou l'autre, cesser de fonctionner ou n'avoir jamais fonctionné du tout sans pour autant que nous soyons aveugles. Différentes formes d'agnosies consistant dans un déficit de la reconnaissance des formes, des couleurs, de l'orientation des objets peuvent justement faire ressembler la vision de certains patients à un « Picasso éviscéré » mais n'empêchent nullement le surgissement d'une réalité visuelle à la conscience. En elle s'impriment d'ailleurs au premier regard les Picasso si tourmentés soient-ils. Et les Soulage, les Fautrier ou les Pollock, tous ces tableaux dits abstraits dont la matière colorée, pleine de concrétions étranges, de formes à peine perceptibles, de couleurs chevauchant mystérieusement les lignes emplit pourtant précisément dès l'abord notre regard autant que la Joconde alors que notre cerveau s'active encore longtemps après pour y reconnaître formes, objets, semblant de situation, de sens ou seulement rythme de couleurs, d'espace et de lumière… A l'inverse, des patients qui peuvent indiquer la direction d'objets, même les saisir, même parler de leurs couleurs et qui témoignent ainsi d'un processus d' « intégration » assez poussé de l' information visuelle n'ont néanmoins conscience d'aucune image par suite de l'altération du cortex visuel primaire ou des voies qui y accèdent (9). Dehaene qui ne veut pas entendre parler des qualia ne semble pas non plus vouloir admettre que le phénomène de la vision consciente n'est pas causalement lié à des analyses disjointes qui peuvent exister sans lui et dont l'absence n'empêche pas qu'il existe. Ce que je vois et dont je ne peux dire quoi que ce soit, je le vois quand même. Ce que je ne vois pas avec un semblant de couleur ou de lumière dans un espace ayant un haut et un bas, une gauche et une droite et que je puis pourtant connaître par mille informations, je ne le vois pas.

Bien sûr la pensée de Dehaene qui voit surgir l'être lumineux de la conscience du néant obscur de l'inconscient par la seule vertu de l'intégration n'est pas seulement de l'ordre de la foi. Elle part d'un réflexe de bon sens : pourquoi les aires pariétales et frontales du cortex visuel qui analysent, précisent et enregistrent tant de données de la scène visuelle existeraient-elles si elles ne servaient à rien ? Evidemment la question serait dérangeante alors. Mais ces aires n'ont pas besoin de servir à une supposée intégration pour être utiles. Toutes les informations qu'elles recueillent peuvent servir – Dehaene le montre et en cela il a certainement raison – à alimenter la conscience. Je puis penser à la forme d'un objet, à sa position, à son éclairage, à sa fonction, à son nom etc. à partir des éléments d'analyses distinctes. Et je ne le pourrais pas s'il n'y avait pas des unités distinctes pour ces analyses.

Mais cela n'est pas à mon sens le rôle décisif des centres d'analyse spécialisés dans l'élaboration de l'image visuelle. Leur rôle pourrait être un rôle de correction et de retouche perpétuels. Le cortex visuel primaire enverrait une épreuve fabriquée sur l'aire rétinotopique et correspondant aux données brutes envoyées bâtonnet par bâtonnet ou cône par cône selon le stimulus reçu sur la tapisserie rétinienne. Cette épreuve serait examinée sous toutes les coutures et selon de multiples critères par les assemblées de neurones idoines. L'épreuve retouchée, la photo finale si l'on veut, serait alors renvoyée à l'aire rétinotopique du cortex visuel primaire et chaque module cortical s'y réactiverait de façon plus ou moins différente de la première épreuve. Là où l'ombre était douteuse, elle deviendrait franche. La ligne esquissée par des pointillés se dessinerait. Le contour flou se préciserait, s'affinerait, des cases de l'échiquier d'Adelson (11) s'éclairciraient ou se fonceraient etc. etc. Evidemment la succession d'images s'organiserait elle aussi avec un système de retouches multiples et les objets qui bougent apparaîtraient glisser au lieu de se mouvoir par saccades ... Là le problème de l'intégration constitutive de l'image dans « l'espace de travail » n'existe plus et celui de la conscience se déplace vers l'aire rétinotopique.

Voir hors de « l'espace de travail »

Ce que je suppute ici n'est pas sans laisser de traces à l'observation et Dehaene lui-même nous en fait part : « La propagation de l'onde vers l'avant n'est pas compliquée à comprendre : il faut bien que l'information sensorielle qui définit l'objet perçu quitte la rétine et pénètre dans la hiérarchie des aires corticales depuis le cortex visuel primaire jusqu'aux représentations plus abstraites de son identité et de son sens. L'onde qui parcourt le cerveau en sens inverse, par contre, n'est pas encore bien comprise. Ce pourrait être un signal attentionnel qui amplifie l'activité sensorielle. Il se pourrait également que le cerveau renvoie des messages aux aires sensorielles afin de leur confirmer que toutes leurs sensations ont bien été interprétées et de vérifier s'il reste certains détails à expliquer. »(9) Confirmation et vérification, ce n'est pas du tout pour ma part les fonctions modestes que j'assignerais à l'onde rétrograde. Je lui assignerais plutôt la fonction première : lancer (un peu après Dehaene, j'en conviens) le processus qui fera apparaître la conscience de l'image. Celui-ci passe inévitablement pour moi par la réactivation des modules corticaux de l'aire rétinotopique.

Comment se ferait alors – comme je l'envisageais dans mon raisonnement à propos du téléviseur- « un certain état des oscillations coordonnées des neurones » spécifiquement lié à l'image perçue ? Quels seraient les « photophores » ( peut-être le « photophore » unique ) qui permettraient le passage de la substance physique de l'énergie à une substance affective ? C'est par là à mon sens qu'il faudrait chercher. En tout cas plus sûrement qu' ailleurs. Cantonné dans ce qu'il appelle avec d'autres « l'espace de travail conscient » et où on ne voit nulle part comment pourrait surgir sa lumière, Stanislas Dehaene ne nous a pas donné le « code de la conscience ».

1- p.334

2- p.356

3- p.200

4- En réalité une moitié d'image qui s'entrelace avec l'autre en décalage d'une ligne. Les images se succédant au rythme exact de 20 par seconde.

5- la vitesse de propagation de l'onde magnétique étant équivalente à celle de la lumière : 300.000 km par seconde.

6- p.353

7- Il existe plusieurs aires rétinotopiques. Dans l'état actuel de nos connaissances (ou de nos ignorances) sur les substrats physiques qui peuvent porter la substance des objets conscients, je ne puis concevoir l'existence d'une image mentale, qu'elle soit d'imagination, de souvenir ou de rêve, sans l'activation d'une aire rétinotopique au moins.

8- p.244

9-Tous ces phénomènes auxquels je fais allusion ici sont englobés sous les termes de « vision aveugle » et sont assez bien exposés sinon expliqués dans l'article suivant : « La vision aveugle ou voir sans le savoir », carnets2psycho

10- p194

11- L'illusion d'optique dite de l'échiquier d'Adelson se manifeste par l'impression d'une forte différence de teinte entre deux cases d'un échiquier : l'une noire éclairée et l'autre blanche à l'ombre alors que toutes deux sont exactement de la même nuance de gris

Partager cet article
Repost0
24 juin 2015 3 24 /06 /juin /2015 03:27

Cartographier dans le cerveau l’emplacement où naîtraient les qualia (1) qui font le contenu de l’expérience intime, la rougeur du rouge, la stridence du cri ou le ravissement sensuel qui nous saisit un matin de printemps dans un jardin en fleurs, cette idée ne quitte pas les savants spécialistes de l’esprit. Dans son livre : « Comment la matière devient consciente », Gerald Edelman évoque pour cela un espace à pas moins de 107 dimensions incluant et réordonnançant diverses assemblées de neurones dispersées dans le cerveau. Et si on ne cherchait pas au bon endroit ? Si la niche des qualia n’était pas dans les trois dimensions de l’espace même démultipliées mais dans une dimension unique, celle du temps ? C’est cette première hypothèse qui est à la base du modulisme.

Les sensations façonnées dans le temps

Cette hypothèse a de quoi surprendre. Imaginons pour s’y accoutumer un monde enfantin qui ne serait fait que de chansons. Tous les objets qui le composent ne pourraient-ils pas tenir sur une même ligne, celle justement du temps ? Lorsqu’on entend un triple do suivi d’un ré, d’un mi et d’un ré encore, c’est la chanson Au clair de la lune qui se présente à notre esprit avec sa particularité mélodique presque aussi clairement distincte et compacte que le serait une odeur familière. Et la descente de gamme : la sol fa mi ré do avec la remontée ré mi nous fera indéniablement songer à la Légende de Saint-Nicolas. Si on considère ces deux mélodies comme des qualia distincts, on peut dire qu’elles sont composées des mêmes éléments premiers, les notes, différemment disposées dans le temps. Avec une petite trentaine de notes (un peu plus de deux octaves et leurs demi-tons), un calibrage de durées allant de la quadruple croche à la ronde, on peut faire plus de mélodies qu’on en aura jamais la mémoire et créer le monde enfantin et chantant dont je parlais, ce monde dont les éléments premiers, les notes, ne coexistent que dans le seul espace du temps.

Mais si nous pouvons bien apercevoir que des notes distinctes se succèdent dans notre conscience lorsque nous écoutons de la musique, rien ne semble pouvoir percer la compacité d’une odeur qui, tant qu’on la respire, paraît toujours se succéder à elle-même dans les plus petits intervalles du temps et ne jamais laisser transparaître les éléments de ce qu’on pourrait appeler une « gamme olfactive ». Ce qui est patent pour les odeurs l’est encore plus pour les couleurs. Certes on sait bien qu’en peinture, on obtient de l’orange en mélangeant du jaune avec du rouge mais on n’imagine pas que, lorsqu’on voit une orange, se succèdent alternativement et vélocement un fruit jaune et un fruit rouge dans le champ de notre conscience. Lorsqu’on voit une orange, on la voit orange tout le temps.

La brève vidéo que je présente ci-dessus montre que la vérité pourrait pourtant être proche de ce qu’on n’imagine pas. La sensation ressentie à tester est celle de la couleur d’une surface occupant à un moment donné la totalité du champ visuel. Cette surface peut être confondue avec l’écran de la vidéo. Dans le montage que j’ai réalisé, j’ai fait se succéder alternativement des écrans jaunes et des écrans rouges. Ces écrans défilent d’abord à la vitesse de un par seconde. A ce rythme, on les voit bien se succéder nettement. Si la vitesse passe à huit écrans par seconde, la perception d’une succession de couleurs est encore absolument nette.

Seulement si la vitesse atteint 16 écrans par seconde, un phénomène nouveau apparaît dans notre champ visuel. La vision du rouge disparaît presque, celle du jaune également et l’on voit dominer une vague lueur orangée. A 32 écrans par seconde, l’écran est toujours trembleur mais apparaît nettement orange tandis que le jaune et le rouge ont disparu.

La capacité des logiciels de vidéo a ses limites, la manipulation de la perception visuelle par l’utilisation d’éclairs successifs a les siennes aussi. Ceci posé, on peut considérer qu’on a ici l’illustration de ce qui pourrait se passer communément lorsque nous ressentons une sensation unique. Ce qui existe dans notre champ de conscience pendant la durée où nous le ressentons n’existe pas pendant chacun des instants qui composent cette durée. Il n’y a pas d’écran orange dans le montage que j’ai fait. En revanche ce qui existe pendant les instants de cette durée comme affects n’existe pas dans notre champ de conscience. Quand ils se succèdent toutes les 30 millisecondes, nous ne voyons ni l’écran jaune, ni l’écran rouge.

En disposant d’un logiciel d’édition aux performances accrues, d’une meilleure définition d’écran et en faisant le bon choix pour chacune des trois couleurs fondamentales, on pourrait faire apparaître sur l’écran de la vidéo chacune du million environ de nuances de teintes possibles alors que notre œil ne recevrait que des éclairs de jaune, de rouge ou de bleu purs.

Une gamme d'affects primaires pour chaque sens

le premier pari du modulisme est ainsi que toute sensation se présentant à notre conscience comme une réalité fixe et indécomposable : étendue colorée uniforme, odeur, son unique, heurt sur telle partie du corps, douleur interne localisée etc. est le fruit d’une succession rapide et périodique d’affects primaires appartenant chacun à un type de gamme donné. Il y aurait une gamme d’affects primaires pour les couleurs, les son, les odeurs, les saveurs, les sensations tactiles et somesthésiques. Pour toute sensation unique éprouvée, chaque affect qui la compose serait absent de notre champ de conscience, imperceptible si l’on préfère, mais il ne serait pas inconscient pour autant dans la mesure où il participerait à l’actualité de la conscience et où, s’il n’existait pas, cette actualité ne serait pas la même.

Si l’on admet que la pertinence de cette hypothèse première est vérifiée dans une certaine mesure pour la perception des sensations de couleur, on voit très mal en revanche comment elle pourrait l’être pour la perception des odeurs. Imaginons qu’il existe une gamme d’odeurs primaires et que chaque élément de cette gamme puisse exister dans la nature ou être fabriqué. Il faudrait faire se succéder dans les narines d’un patient des bouffées d’air chacune parfumée d’une odeur de cette gamme à une vitesse proche de une par centième de seconde. On conviendra aisément que ce n’est pas possible. Ainsi la première hypothèse du modulisme pourrait constituer un pari philosophique intéressant dans la mesure où elle permettrait de concevoir comment les sensations émergent à la conscience dans leur particularité propre, ce que ne fait pas le connexionnisme, mais elle resterait une hypothèse invérifiable en toute rigueur.

Des oscillations de neurones qui modulent l'intensité du champ

Il faut donc une seconde hypothèse qui prend en compte l’activité des neurones comme corrélat de la production des affects. L’activité des neurones est de deux types. Un premier qui consiste à transmettre ou non à d’autres neurones par l’intermédiaire des synapses et par la voie des axones des potentiels d’action qui seront redirigés, multipliés ou inhibés selon un certain algorithme. Un second dont la fonction n’a jamais fait l’objet d’études approfondies consiste à osciller. En effet quand le neurone décharge, il le fait par une série de polarisations et de dépolarisations selon une certaine fréquence, chaque cycle de polarisation/dépolarisation correspondant à l’envoi d’un potentiel d’action. Aussi les potentiels d’action sont émis selon une certaine fréquence de décharge qui peut varier de quelques décharges par seconde à plusieurs centaines. Cette oscillation électrique des neurones se transmet bien sûr au champ magnétique local et contribue à faire fluctuer son intensité (2). C’est cette fluctuation du champ magnétique induit par l’oscillation des neurones que prend principalement en compte le modulisme.

L’idée essentielle est alors qu’il y a toujours combinaison des rythmes de fréquence d’oscillations des neurones activés lors de la réception d’un stimulus pour produire une modulation du champ particulière à ce stimulus. Cette modulation engendrerait une « onde d’action affective » d’une amplitude instantanée plus ou moins grande. Et, selon la hauteur de cette amplitude, serait produit instantanément un affect en fonction du rang qu’il occuperait sur la gamme d’affects mis en jeu.

Il est grand temps d’éclairer un peu ce que je veux dire et pour cela de revenir à la vidéo. On peut considérer qu’il y a une gamme d’affects primaires de couleur qui ne comporte que trois éléments ainsi disposés de bas en haut : 1-le rouge 2-le jaune 3- le bleu. Lorsque la couleur rouge envahit l’écran et, par suite, notre rétine, le message transmis par le nerf optique engendrerait dans le cortex visuel primaire une combinaison d’oscillations particulière qui se reproduirait par périodes d’environ 20 millisecondes. Cette combinaison engendrerait à son tour une « onde d’action affective » pour la production d’affect d’amplitude 1. Aussitôt, pour cette seule raison, la couleur rouge pénètrerait notre champ de conscience. Évidemment, si on considère que l’ouverture minimale de notre champ de conscience est de 40 millisecondes, il faut au moins deux périodes de modulation pour que nous voyions la couleur rouge.

Envisageons maintenant ce qui se passe si un éclair jaune de même durée succède à l’éclair rouge. L’ « onde d’action affective » aura l’amplitude 2 et ce sera la couleur jaune qui pénètrera notre champ de conscience. La vision de l’orange aurait alors pour corrélat la variation d’amplitude de 1 à 2 de l’ « onde d’action affective » toutes les 20 millisecondes.

On aura sans doute compris que le processus que j’évoque là est tout à fait analogue à celui de la réception des ondes électromagnétiques par les postes de radio ou de télévision analogique. Pour ce qui est du poste de radio, on peut comprendre comment se fait le passage de l’onde électromagnétique au signal électrique d’intensité modulée, puis à l’onde sonore. Mais pour la conscience humaine, rien ne permet de comprendre le passage d’une onde (celle qui serait produite par une combinaison d’oscillations de neurones activés) aux qualia des sensations. Dans la première partie de mon article : « La conscience disparue », j’évoquais la nécessité pour la science, si elle entend parler effectivement de la conscience, de ne pas considérer comme acquise la connaissance de la nature et des propriétés de la substance matérielle, « d’admettre qu’il puisse exister dans les êtres vivants pourvus de neurones un système matériel d’une configuration encore inconnue et qui serait seul apte à faire apparaître à l’état d’affects premiers cette substance psychique hors de laquelle la conscience ne peut avoir réalité. »

Mais alors, si le modulisme ne peut trouver sa véritable pertinence qu’en supposant l’existence d’une réalité non encore découverte et peut-être impossible à découvrir, comment pourrait-il se présenter comme une explication scientifique de la conscience alternative au connexionnisme ? Il est vrai que le connexionnisme ne permet pas de sortir de l’abstraction des algorithmes, d’appréhender, entre l’objectivité des potentiels d’action et l’objectivité des comportements observables, l’existence d’une réalité subjective. Il est vrai que le modulisme, en revanche, aperçoit au moins une porte de sortie au système cybernétique dès le niveau des sensations élémentaires. Il est vrai qu’il peut permettre d’établir une correspondance entre la production des affects à partir d’éléments premiers et la constitution d’une réalité ondulatoire particulière à partir de l’oscillation des neurones. Mais il manque, je ne puis le nier, un joint mystérieux.

Les travaux éclairants d'une équipe de neurobiologistes

Cependant l’ignorance de ce joint ne me paraît pas rédhibitoire. Imaginons que l’on découvre une exoplanète où l’on soupçonne l’existence d’une civilisation technologiquement avancée. On supputerait en particulier que les habitants de cette planète utilisent la télévision ou la radio. Évidemment, même avec les plus puissants télescopes, on ne pourrait apercevoir aucun récepteur. En revanche il n’est pas impossible qu’on puisse détecter par des radars appropriés les ondes électromagnétiques émises dans les parages de cette planète. Il serait alors aisé de voir si ces ondes sont émises par des sources naturelles (il en existe) ou par des émetteurs artificiels transmettant des programmes de radio ou de télévision. Eh bien, pour la détection du mécanisme qui produit les affects dans le cerveau humain, on peut procéder de façon analogue. On ne peut pas apercevoir le récepteur qui va produire les affects à partir de « l’onde d’action affective » mais on peut observer tout ce qui modulera ou pas cette onde de façon particulière dans l’activité oscillatoire des neurones.

C’est là qu’il faut faire mention d’une étude capitale menée en 2012 dans un laboratoire de l’université de Genève par trois neurobiologistes : les docteurs Olivier Gschwend, Jonathan Beroud et Alan Carleton. Cette étude a porté sur le système olfactif des souris et plus spécifiquement sur la façon dont le bulbe olfactif, premier relai cérébral de la voie sensorielle olfactive, reçoit et transmet l’information relative aux odeurs au reste du cerveau.

Les expériences ont porté sur des souris anesthésiées mais aussi sur des souris éveillées donc susceptibles d’être affectées par un stimulus odorant comme nous le sommes nous-mêmes lorsque nous ressentons une odeur. De fines électrodes ont été introduites dans le bulbe olfactif et ont permis des enregistrements de l’activité électrique non seulement global mais aussi neurone par neurone.

En ce qui concerne les souris anesthésiées, il a été constaté qu’une proportion notable des neurones du bulbe olfactif voyaient leur fréquence de décharge changer lorsque l’animal était mis en contact avec l’odorant et que la population de neurones à fréquence modifiée était spécifique à l’odorant reçu. Ainsi a été bien mis en évidence que l’information entrée dans le bulbe olfactif à partir des récepteurs sensoriels était bien transmise dans sa spécificité aux axones sortant du bulbe olfactif qui se projettent en aval vers différents réseaux corticaux sans qu’il y ait présence d’un « ressenti ». De même il a été mis en évidence que l’activité électrique globale du bulbe olfactif ne variait pas de façon discriminante en fonction de l’odorant reçu.

En ce qui concerne les souris éveillées (non anesthésiées), le constat est d’une toute autre nature. D’abord la proportion de neurones qui voient leur fréquence de décharge changer de façon significative apparaît moindre. Ensuite et surtout plusieurs neurones présentent des séries de décharges distantes dans le temps selon un schéma particulier et propre à l’odorant perçu. Ainsi l’information n’apparaît pas ou plus seulement contenue dans les potentiels d’action présents ou pas dans les axones sortants mais dans la structure temporelle d’un train de potentiels d’action. Ce n’est pas tout. Ce train de potentiels d’action apparaît périodique et ajusté à une fenêtre temporelle de 20 millisecondes qui correspond précisément à une phase d’oscillation gamma dans le champ électrique du bulbe olfactif . Ainsi il y aurait à l’intérieur du bulbe olfactif de l’animal éveillé la superposition de deux modulations du champ électrostatique : une ordinaire liée à l’oscillation de l’onde gamma et une autre particulière, propre à l’odorant perçu.

Évidemment rien ne dit que cette modulation électrique qui pourrait par jeu d’inférence moduler l’intensité d’une « onde d’action affective » et la production successive d’affects odorants appartenant tous à une même gamme se retrouve dans le cas de la réception de stimuli sonores, visuels, tactiles, somesthésiques… Mais mon propos est d’appeler justement à de nouvelles études et à de nouvelles expériences. Si l’on veut que la conscience humaine devienne sérieusement et réellement un objet d’étude, on n’a pas le droit de s’enfermer comme le fait la communauté des neurobiologistes dans une conception a priori qui revient comme je l’ai dit à nier la réalité spécifique des contenus conscients. Le modulisme, lui, les respecte et leur fait place. A ce titre il mérite peut-être qu’on s’y intéresse et qu’on explore les moyens -ils sont multiples- d’en vérifier la pertinence.

Clément Dousset

1-Les qualia (pluriel latin du mot quale) sont les propriétés de la perception et généralement de l’expérience sensible, inconnaissables en l’absence d’une intuition directe.

2-Champ électrique et champ magnétique sont liés. Le déplacement d’une quantité de charge électrique produit un champ magnétique d’une grandeur proportionnelle à cette quantité dans une direction perpendiculaire à ce déplacement.

3-Cet article a été publié sur le net sous le titre : »Encoding Odorant Identity by Spiking Packets of Rate Invariant Neurons in Awake Mice »

Partager cet article
Repost0
22 juin 2015 1 22 /06 /juin /2015 15:38
Une niche pour la conscience ? Partie 1/2  : la conscience disparue

Le net, on l'a dit, est devenu l'agora de notre époque. La presse papier, les médias audio-visuels n'apparaissent plus comme le lieu de véritables débats. Les pensées réellement contestaires d'extrême-droite ou d'extrême gauche sont confinées à des feuilles de chou, à des radios confidentielles, à des chaînes de télévision disponibles uniquement sur ordinateur.

Vide du débat métaphysique sur le net

C'est là justement que la politique au sens premier du terme – art et pratique du gouvernement des sociétés humaines- devient l'objet de discussions véritables et sous tous ses aspects : économiques, socio-économiques, géo-politiques, civilisationnels, socio-religieux. On peut même parler d'omniprésence du politique dans le débat et, si la philosophie et la morales sont abordées, ce n'est qu'en relation avec l'actualité, les comportements de certains groupes, les conflits intérieurs ou internationaux, bref en relation toujours avec la politique. Les questions proprement métaphysiques qui alimentaient naguère de grandes controverses et qui ont quasiment disparu des médias, sinon de temps à autre dans des articles à sensation, ne sont certes pas absentes sur la toile mais confinées à quelques sites, abordées dans quelques forums quasi déserts. La place existe toujours pour l'ésotérisme, le spiritisme, les spéculations sur l'après-vie qui serait aperçue dans les expériences de mort imminente, les développements sur les OVNI, la défense et l'illustration des médecines alternatives mais les débats sur l'existence de Dieu, la grande controverse sur l'évolution qui opposait aux deux extrêmes les partisans d'un dessein intelligent à ceux d'un darwinisme pur et dur semblent avoir fait long feu.

Globalement on pourrait dire que, si la politique envahit le champ du débat, tout ce qui de près ou de loin paraît pouvoir être tranché par la science s'en retire. C'est que justement le débat politique s'est démocratisé, que chacun estime avoir une pensée politique à préciser et une argumentation pour la défendre alors que la science intimide de plus en plus. Les objets auxquels elle touche ne semblent pouvoir s'appréhender qu'au travers de mathématiques abstruses, de savoirs encyclopédiques, de concepts qui échappent aux intelligences communes.

On ne fait pas deuil égal de tous les abandons. Il est des domaines exotiques dans l'extrêmement petit ou l'immensément grand que notre esprit se console vite de devoir déserter. Il en est un autre qui touche à son intimité même et qu'on n'a pas envie de livrer sans combat à la science, c'est celui précisément de la conscience.

La science veut s'accaparer la réflexion sur la conscience

Or la science, sans ouvertement le dire, prétend bel et bien s'emparer de ce domaine-là. Au XX° siècle est apparue une discipline qui se veut une étude scientifique de l'esprit : le cognitivisme. Sans doute ne doit-on pas confondre l'esprit avec la conscience. La conscience est une réalité humaine individuelle liée à l'existence même d'une personne, à la racine actuelle et vivante de sa subjectivité. L'esprit renvoie à la connaissance, à la pensée, au langage, apparaît autant dans la communication que dans l'activité solitaire de l'intellect. Le cognitivisme se présente lui-même comme plus proprement une science de la pensée, du raisonnement, de la "production de connaissances" que de la conscience dans son intégralité et son intégrité, incluant la totalité des phénomènes affectifs et des activités intellectuelles.

Cependant l'ambition limitée du cognitivisme ne doit pas faire illusion. Le cognitivisme prétend faire un pas considérable dans la connaissance de la vie mentale que le behaviorisme ou "comportementalisme" avait pour ainsi dire niée. Pour les comportementalistes, l'étude psychologique se résume à observer et analyser les comportements des individus en fonction de leurs besoins, de leurs instincts et des sollicitations du milieu où ils se trouvent. Pour eux la vie mentale n'est qu'un épiphénomène. Les cognitivistes ne méconnaissent pas l'existence et l'importance de cette vie mentale, son aspect irréductible par rapport à la réalité extérieure mais prétendent faire un objet de science des réalités -les représentations, les symboles- qui la constituent. Et le rôle que joueraient ces représentations (leur fonction), la façon dont elles se transformeraient les unes dans les autres (ce qu'elles font dans la pensée, le raisonnement qui aboutit à la connaissance) s'effectuerait selon une "syntaxe inconsciente" qui suivrait des règles dérivées de l'informatique. Ainsi l'activité de notre cerveau serait-elle tout à fait comparable à celle d'un ordinateur. Le philosophe Pierre Steiner écrit dans une "Introduction au cognitivisme" :"un système cognitif est donc surtout une entité qui peut transformer des états informationnels d'entrée en d'autres états et ce, quelle que soit sa composition matérielle. L'architecture du système, assimilable au programme informatique (software) est donc indépendante de son matériel (hardware). Bref, pour être qualifié de "système de pensée", il n'est pas nécessaire d'avoir un cerveau".

Ainsi on pourrait dire que le cognitivisme, à la différence du comportementalisme, reconnaît l'existence d'un domaine où la conscience pourrait avoir réalité, celui des représentations inhérentes à la vie mentale, mais établit en même temps que ce domaine n'est pas lié à l'existence d'une vie humaine (ou animale) individuelle et pourrait aussi bien exister dans un objet artificiel comme un ordinateur.

Le connexionnisme, après le cognitivisme, nie ce qui fait la spécificité de la conscience.

A la différence du cognitivisme, le connexionnisme prétend bien partir du cerveau, de l'existence des neurones organisés en réseaux et reliés par des connexions par lesquelles l'information, matérialisée par des potentiels d'action circulant dans les axones, peut être réorientée, inhibée ou renforcée. Mais, s'il revient au support naturel de la conscience, le connexionnisme en reste au modèle d'explication computationnaliste du cognitivisme. La connaissance que produirait le cerveau serait le fruit d'une fonction algorithmique réalisée par l'activité des réseaux de neurones. Et la conscience émergerait comme par miracle de cette activité dans l'espace cérébral alors qu'elle n'émergerait pas de l'activité pourtant totalement similaire dans la boîte d'un ordinateur. En fait, de manière encore plus flagrante que le cognitivisme qui vise à étudier la pensée humaine dans toute sa complexité sémantique et qui s'éloigne ainsi de la matérialité des processus physico-chimiques, le connexionnisme se révèle incapable de laisser une place à la conscience qu'il prétend approcher dans ses manifestations les plus primitives, les plus simples, les plus directes. Et cela, du fait même de son présupposé.

Le présupposé connexionniste reprend celui du naturalisme. Pour lui, la seule chose qui existe ultimement c'est la matière (ou l'énergie) ; tous les phénomènes qui peuvent exister (propriétés, états, événements, processus, relations) doivent donc ultimement se ramener à des phénomènes explicables par la physique contemporaine. Or la physique contemporaine n'explique pas le passage des corrélats observables d'une sensation dans l'activité des réseaux de neurones à la perception de cette sensation elle-même. On peut plus ou moins nettement repérer des corrélats d'un ressenti douloureux. On peut même établir l'algorithme qui va produire ce qu'on appelle le message nociceptif. Mais la comparaison de ce qui existe dans l'esprit du patient entre le moment où le message nociceptif n'est pas émis et le moment où le message est émis n'implique pas la production d'une réalité physico-chimique nouvelle. Ce qui veut dire que, matériellement, la douleur n'existe pas. Or, si on rejette totalement le dualisme,si on n'admet pas qu'il existe une autre substance que la substance matérielle et si on décrète en même temps que la science cognitiviste, connexionniste ou plus simplement neurophysiologiste décrit parfaitement le réel, alors on doit dire que la douleur n'existe pas. Et l'on doit dire également bien sûr que le plaisir n'existe pas, que les sons n'existent pas, que les odeurs n'existent pas, que les couleurs n'existent pas...

Et comment la conscience pourrait-elle exister sans les sensations qui lui servent de base et de support ? Ce n'est d'ailleurs pas seulement la réalité des sensations que nie le matérialisme de la science actuelle c'est la réalité du désir, de l'effort, de la volonté, de la liberté bien sûr et, par là, de la responsabilité humaine. Sans sensations, sans émotions, sans désir, sans volonté, la conscience n'est plus qu'un vague fantôme en sortant des laboratoires où les neurobiologistes prétendent en faire leur objet d'étude. Accrochés au dogme du matérialisme moniste, les connexionnistes ne laissent pas à la conscience le moindre espace où elle puisse réellement trouver une niche. La notion nouvelle d' "Espace de travail conscient", popularisée par le professeur Changeux, ne fait rien à l'affaire. Cet espace de travail n'est rien d'autre qu'un plus grand lieu d'échanges de potentiels d'action activés en corrélation avec un état de conscience déterminé. Il infère le passage de l'inconscient au conscient d'une multiplications de foyers d'activité cérébraux et des signaux échangés entre ces foyers et, en même temps, , il refuse à tout point de l'espace cérébral de jouer un rôle décisif dans l'apparition d'un contenu conscient. Comme il ne sort pas en même temps du présupposé matérialiste, qu'il refuse d'admettre la transformation d'une substance matérielle en une substance purement psychique, il en est réduit à parler d'"émergence de la conscience" comme d'une synthèse miraculeuse effectuée hors de tout espace et sans cause déterminable. Comment ne pas considérer que pour les tenants de l"Espace de travail conscient" comme pour les autres neurobiologistes, la conscience n'est rien d'autre qu'un épiphénomène ?

La "conscience" est "disparue", avertissais-je en titre de cet article. On me dira que c'est une alerte de bonimenteur. Que ce n'est pas parce que la "communauté scientifique", un des avatars de la "commmunauté internationale" nie par dogmatisme la spécificité et donc la réalité de la conscience dans le champ des existants naturels que la conscience, notre conscience se trouve mise en cause, perd réellement de sa valeur, valeur que nous pouvons toujours considérer comme incommensurable. Mais il est vrai aussi que les scientifiques ne vivent pas hors de la cité. Que les considérations théoriques en science fondamentale ne sont pas sans conséquence sur les évolutions techniques qui envahissent tout le champ de l'activité et de l'existence humaines. Que les scientifiques font partie des comités d'éthique, qu'ils y ont une place de plus en plus prépondérante, que certains même voudraient en chasser ceux qui se réclament de valeurs religieuses et à qui on peut certes faire bien des reproches mais pas celui de négliger la valeur de la conscience humaine. Que les notions de cyber-cerveau et d'automate intelligent qui trouvent appui sur les développements du cognitivisme se concrétisent de plus en plus dans les sociétés occidentales les plus développées, en particulier aux Etats-Unis, et font craindre une altération progressive de la notion de conscience humaine. Que dans l'adage :"science sans conscience n'est que ruine de l'âme", le mot conscience s'allie bien au mot âme pour s'opposer à une science destructrice.

La sauvegarde de la conscience passe par une certaine forme de dualisme

Il serait bien sûr ridicule et vain de contester à la science le droit d'essayer de connaître le moyen par lequel le cerveau de l'homo sapiens sapiens accède à la connaissance de son environnement et à celle, précisément, de la réalité de sa propre conscience. Mais je pense pouvoir et devoir contester une attitude dogmatique qui confinerait à l'impérialisme intellectuel. Ce dogmatisme consisterait à vouloir s'écarter a priori et définitivement du dualisme cartésien qui admettait l'existence d'une autre substance à côté de la substance matérielle. Il ne s'agit pas de prêter à cette substance des propriétés miraculeuses, il ne s'agit même pas de la séparer spatialement de la matière et de penser qu'elle pourrait advenir hors de son existence. Il s'agit seulement d'admettre qu'il puisse exister dans les êtres vivants pourvus de neurones un système matériel d'une configuration encore inconnue et qui serait seul apte à faire apparaître à l'état d'affects premiers cette substance psychique hors de laquelle la conscience ne peut avoir réalité.

Comment, à partir de ce postulat, pourrait se confectionner la diversité des sensations, c'est ce qu'il me reste à montrer. La conception que j'appelle "moduliste" présente un quadruple dessein: reconnaître une niche sûre où la conscience puisse exister avec sa spécificité propre, constituer un système alternatif au connexionnisme là où ce dernier se présente comme un moyen d'expliquer la conscience, pouvoir s'appuyer sur les résultats de certaines expériences déjà faites pour recevoir un début de validation, baliser des pistes de recherche permettant de poursuivre cette validation-là. Sauver la conscience sans renoncer à la science, voilà mon très (trop ?) ambitieux projet.

Partager cet article
Repost0
4 avril 2015 6 04 /04 /avril /2015 07:54

L'article original s'intitule:

Encoding Odorant Identity by Spiking Packets of Rate-Invariant Neurons in Awake Mice (Olivier Geshwend, Jonathan Beroud, Alan Carleton)

 

Encodage de l'identité odorante par paquets de décharges de neurones à fréquence moyenne invariante chez les souris éveillées 

 

La perception sensorielle est effectuée dans le cerveau par des processus de codage définis comme des modifications des formes de décharge dans des sous-populations particulières de neurones. Le code constitué par les fréquencesde décharge est le plus étudié car il implique des changements dans les décharges des neurones qui sont faciles à détecter et à quantifier expérimentalement. Cependant d'autres codes sont aussi à considérer puisqu'ils apportent une information complémentaire et/ou peuvent être plus résistants au bruit de fond du cerveau ou aux fluctuations du stimulus. Il s'agit notamment des codes temporels tels que les décharges synchronisées des neurones, du premier pic de latence qui suit le début du stimulus ou de la place des décharges dans des phases spécifiques de rythme particulier. Plusieurs codes peuvent être également combinés dans le but d'accroître la quantité d'information incluse dans les réponses neurales.

 

La réactivité des neurones est évaluée à un niveau cellulaire unique, généralement en se concentrant sur les variations de fréquence de décharge par rapport à une fréquence de base. Chez les mammifères, les cellules mitrales et à panache (cellules M/T : mitral and tufted cells ) dans le bulbe olfactif répondent à des odorants en montrant de grandes variations dans leur rythme de décharge. En outre la plupart des cellules M/T ne répondent qu'à quelques odorants seulement, ce qui mène à la conclusion qu'un codage « clairsemé » existe dans le bulbe olfactif. D'autre part, il a été montré que les cellules M/T subissaient de fines variations dans le calendrier de décharge selon les odorants tels que le réglage pour le premier pic de latence ou la phase privilégiée de décharge dans le cycle respiratoire.

 

Des études théoriques ont montré que des populations de neurones à rythme de décharge invariant pouvaient coder de l'information comme des assemblées de cellules dont les noyaux oscilleraient au même rythme. Mais si quelques études sur les rongeurs ont montré que les cellules M/T pouvaient coder l'information dans des laps de temps spécifiques, aucune n'a souligné que l'information pouvait être produitepar des cellules à rythme de décharge invariant qui changeraient leur chronologie de décharge. En outre, à notre connaissance, aucune expérience n'a tenté d'établir l'impact que pouvaient avoir des oscillations physiologiques telles que les oscillations gamma dans la conduite des activités des cellules M/T et dans la transmission de l'information odorante.

 

Pour répondre à ces questions nous avons enregistré l'activité électrique d'ensembles de cellules M/T chez des souris anesthésiées et chez des souris éveillées. En comparant l'activité correspondant à un odorant donné par rapport à l'activité de base, nous avons constaté que, au cours du cycle respiratoire complet, la plupart des neurones chez les animaux éveillés ont un rythme de décharge invariant. Mais, à côté de cela,nous avons découvert qu'ils existe de fins changements dans le calendrier des décharges à l'intérieur du cycle respiratoire qui contiennent suffisamment d'informations pour servir à discriminer les substances odorantes. Nous avons testé, à titre d'essai unique, la robustesse de différents codes à différentes échelles pour extraire l'information du stimulus d'une population neuronale. Nos résultats suggèrent que, pour atteindre une discrimination de l'odorant rapide et précise, l'information odorante est acheminée par des trains de potentiels d'action lus sur les oscillations gamma utilisées comme une horloge interne.

 

Préparation des animaux

 

Toutes les expériences ont été réalisées sur des souris mâles âgées de 8 à 16 semaines (élevées en France par Charles River) et elles sont conformes à la loi fédérale sur la protection des animaux ainsi qu'à l'ordonnance suisse sur cette même protection. Nos expériences ont été approuvées par l'université de Genève et par le comité d'éthique de l’État de Genève.

 

Pour les enregistrements sous anesthésie générale, les souris ont été préparées comme décrit précédemment (22). Pour les enregistrements à l'état d'éveil, les souris ont été anesthésiées à l'isoflurane (3  à 4 % pour l'induction, 1à 2 % pour la maintenance). La peau recouvrant le crâne a été enlevée sous anesthésie locale en utilisant le carbosterin ( AstraZeneca, Zug, Suisse ). Un casque métallique a ensuite été fixé sur l'os en scellant sa base à l'aide de ciment dentaire (Omni-Etch dentine. Omnident ). Le reste du crâne a également été recouvert de ciment dentaire à l'exception de la partie recouvrant le bulbe olfactif. Nous n'avons pas constaté de changement de comportement des souris dû à la fixation de ce casque après avoir replacé les souris dans leur cage. Les animaux continuaient à explorer, à se nettoyer, à présenter un niveau d'activité semblable à celui qu'ils manifestent dans les conditions normales. Ils ne présentaient aucun comportement témoignant d'un ressenti douloureux comme la posture voûtée, l'isolement par rapport au groupe ou des tremblements du corps.

 

Quelques jours après la remise des souris en cage, une souris a été placée dans un tube en plastique dont le dispositif de fermeture était vissé à un poste de commande métallique fixé sur une table à air. Les souris ont été entraînées à subir cette condition contraignante par deux à quatre sessions de 30 à 60 minutes chacune pendant deux jours. Le jour de l'expérience une souris est fixée par la tête et anesthésiée par l'isoflurane à l'aide d'un tuyau placé devant son museau. Une crânéotomie est ensuite pratiquée au-dessus de son bulbe olfactif. Après cette opération, des tétrodes sont placées à la surface du bulbe olfactif. L'intervention entière dure de 15 à 30 minutes. Ensuite nous faisons pénétrer les électrodes dans le bulbe pour rechercher les neurones M/T. Une fois que nous les avons trouvés, nous laissons les électrodes sur place et arrêtons l'anesthésie. Le protocole expérimental et les enregistrements débuteront de 45 à 60 minutes après que l'animal aura pleinement récupéré.

 

Pour toutes les expériences, la respiration a été contrôlée à l'aide d'un capteur de flux d'air directionnel placé devant le nez de la souris. Nous avons observé pour le cycle respiratoire une période moyenne de 393 millisecondes chez les animaux éveillés (15,8 ms d'écart d'un animal à l'autre S.D. n=6) et 352 ms chez les animaux anesthésiés (12,8 ms d'un animal à l'autre S.D. N=12). Le dispositif, bien que proche de la gueule, n'empêche pas l'odorant d'atteindre la narine de l'animal.

 

Délivrance de l'odeur et protocole expérimental

 

Toutes les substances odorantes ( acétate d'amyle : Aa, butyrate d'éthyle : Eb, hexanone : He) provenaient de Sigma-Aldrich. Comme stimuli olfactifs, on utilise les mélanges suivants :1- acétate d'amyle 60 %/air 40 %, 2-butyrate d'éthyle 60 %/air 40 %, 3- hexanone 60 %/air 40 %, 4-acétate d'amyle 60 %/butyrate d'éthyle 40 %, 5- acétate d'amyle 40 %/butyrate d'éthyle 60 %, 6-hexanone 60 %/butyrate d'éthyle 40 %, 7-hexanone 40 %/butyrate d'éthyle. Chaque stimulus a été répété 9 fois pour les souris anesthésiées et 5 fois pour les souris éveillées pour les ensembles de données. Pour tester l'impact du nombre de répétitions des stimulus (voir ci-dessous), nous avons établi un autre ensemble de données et utilisé 8 stimuli différents, chacun appliqué individuellement 20 fois. Tous sont des odorants monomoléculaires évoquant des perceptions différentes, au moins chez les humains : l'acétate d'amyle, le benzoate de méthyle, le butyrate d'éthyle, le géraniol, la canone(+), la canone (-), l'octanal, l'hexanone 3.

 

Quatre millilitres d'odorant monomoléculaire pur ont été placés dans des flacons de verre. Ces odorants ont été délivrés pendant deux secondes grâce à un olfactomètre fait sur mesure comme décrit précédemment (22) (57). La première bouffée d'odorant devait arriver lors de l'expiration de l'animal. Un flux d'air passait à travers les flacons contenant la substance odorante et était ensuite dilué 20 fois avec de l'air propre et sec avant d'être envoyé vers le nez. Tous les mélanges ont été réalisés au niveau gazeux et le débit relatif du flux variait de façon indépendante du courant d'air odorant. Comme les odeurs ont été délivrées à 1 cm du nez de l'animal, les taux de concentration étaient plus que suffisants pour atteindre la cavité nasale. Le débit total était constant : 0,4 litre par seconde. Pour maintenir une concentration d'odeur stable pendant toute l'application, on fait en sorte que les flux soient fixes au moins 5 secondes avant la délivrance de l'odeur.

 

Enregistrements électrophysiologiques in vivo et tri des potentiels d'action

 

Une fenêtre de 1 à 2 mm a été forée au-dessus du bulbe olfactif et la dure-mère a été ouverte. Une ou deux électrodes d'enregistrement à base de silicium (A-4x2-T-5nm-150—200-312 Technologie, MI,s Neuro Nexus, Ann Arbor, USA) ont été insérées. La boîte crânienne a été remplie d'un mélange de cire et de paraffine ou par un gel ophtalmique (Lacryviv, Alcon) pour protéger le cerveau du séchage. Durant les enregistrements sur les souris éveillées, un fil d'argent au contact du gel a été relié à la table d'air pour mettre à la terre l'ensemble de la préparation. Les électrodes ont été abaissées verticalement dans la zone cible jusqu'à ce que la couche des cellules MT médiales ou dorsales ait été atteinte. La couche de cellules MT a été clairement reconnue par sa forte activité de production de potentiels d'action extracellulaires tous à une profondeur de 100 à 150 mm (millième de millimètre). Cela contraste avec l'activité électrique beaucoup moins importante dans la plexiforme externe et la couche de cellules granulaires (39) (47) (58). A cet égard, il convient de noter que les électrodes que nous avons utilisées ont de faibles impédances (1 à 4 MQ à 1 kHz) . Les conditions pour l'identication optimale d'une cellule unique sont stables et permettent raisonnablement de saisir le potentiel d'action extracellulaire en tenant compte du bruit de fond (clustering, voir ci-dessous), conditions qui, dans le cas d'électrodes à faible impédance pourraient être remplies seulement chez les cellules MCs et T (cellules plus grandes que dans le Bulbe Olfactif) comme cela a été observé par d'autres chez les souris et les rats. Pour confirmer cela, on ne détecte pratiquement pas d'activité en cluster dans la couche de cellules granulaires qui contient une grande densité de petits neurones.

 

Les potentiels de champ à larges bandes ont été amplifiés d'un facteur 100 et filtrés par un passe-bande entre 0,1 et 9 kHz. Toutes les données ont été numérotées à 32556 Hz à l'aide du système Cheeta Digital Lynx. De plus amples détails sur les enregistrements et le tri des potentiels d'action ont été rapportés ailleurs (22).

Les neurones individuels ont finalement été identifiés comme les grappes présentant une période réfractaire dans leur propre autocorrélogramme. Un total de 102 neurones isolés ont été enregistrés chez les 12 souris anesthésiées et de 130 chez les souris éveillées. Le nombre de cellules enregistrées par animal variait entre 1 et 25. Pour les expériences testant la dépendance des codes au nombre de répétitions des stimuli odorants nous avons enregistré 46 neurones sur 6 souris. Toutes les données d'analyse et les statistiques suivantes ont été calculées à l'aide de scripts personnalisés écrits pour Matlab (The MathWorks,Inc,Natick, MA) ou C.

 

ANALYSE DES DONNEES

 

Réalignement des cycles respiratoires.

 

Les durées des cycles respiratoires chez les souris éveillées ont été très variables au sein d'un même essai ou d'un essai à l'autre. Afin d'analyser de façon cohérente les réponses des neurones aux odeurs d'un essai à l'autre, le début de chaque cycle respiratoire a été réaligné pour chaque essai. Tous les cycles respiratoire ont été artificiellement adaptés à la durée respiratoire moyenne (393 +ou – 15 millisecondes) au cours des 5 essais. Les cycles plus longs ont été coupés et les plus courts allongés.

Les périodes de décharge correspondantes ont été réalignées avec la même méthode. Il est important de noter que la chronologie relative des trains de potentiels d'action n'a pas été affectée par cette méthode.

 

Analyse statistique de la variation des fréquences de décharge pour les cellule individuelles.

 

Les variations de la fréquence de décharge par rapport au niveau de base pendant le cycle respiratoire moyen durant la présentation de l'odeur ont été évaluées par le test non paramétrique de Wilconson. Ce test donne la somme de ces variations dans chaque séquence du cycle respiratoire accompagnant la présentation de l'odeur et pour chacun des 7 stimuli. Dans un cycle donné une cellule était considérée comme sensible si au moins un stimulus de substance odorante provoquait une modification significative de la fréquence de décharge en comparaison avec la valeur initiale. Nous avons situé la valeur alpha à 0,05 et en outre appliqué une correction de Bonferroni pour les tests multiples (c'est à dire une division par le nombre de stimuli, soit 7) afin que le pourcentage ne puisse être surestimé de plus de 5 %.

 

Analyse de la mise au point dans la chronologie des potentiels d'action

 

Nous avons divisé chaque cycle respiratoire en 8 séquences (longues en moyenne de 43 millisecondes pour les souris anesthésiées et de 49 millisecondes pour les souris éveillées) et nous avons calculé la fréquence de décharge moyenne. Pour chaque odeur, nous avons décrit l'activité de décharge par essai au cours des cycles respiratoires consécutifs par une matrice de 8xn (n cycles respiratoires avant et pendant la présentation de l'odeur) Pour chaque odeur nous avons en outre fait la moyenne de toutes les matrices calculées à partir des essais individuels. Le même procédé a été appliqué aux sept odeurs et les matrices de moyennes ont été réunies ensemble (pour un ensemble total de 8x7n). Une analyse des composantes principales (ACP) a été calculée avec la matrice globale, ce qui a permis de représenter tous les cycles respiratoires par un vecteur dans un espace multidimensionnel à huit dimensions, chacune de ses dimensions représentant une des séquences du cycle respiratoire. Les trois premières dimensions de l'ACP présentaient plus de 75 % de la variation. Pour décider si les neurones réagissaient aux odeurs nous avons vérifié si la distribution des décharges dans le cycle respiratoire de base et dans le cycle pendant les périodes de stimulus odorants présentaient des différences. Pour cela nous avons mesuré dans l'espace de l'ACP les distances euclidiennes entre les périodes d'odeurs et les périodes de base dans le cycle respiratoire.

 

D'abord les cycles respiratoires ont été regroupés en cycles respiratoires de base (CRB) et cycles respiratoires d'odeurs évoquées (CRO). Les CRB ont de nouveau été divisés aléatoirement en deux groupes avec un nombre équivalent de cycles respiratoires : le CRB de contrôle CRBC et le CRB de test CRBT. Nous avons alors calculé le barycentre du CRBC puis la distance moyenne (d moyenne) et l'écart type (σ) de la distance euclidienne entre le barycentre du CRBC et chacun des CRB. Ensuite la distance (Ko ) entre chaque CROB et le barycentre du CRBC a été calculée. Une réponse a été considérée comme positive si Ko >d moyenne + λσ où λ=1.2.3....n pour au moins une odeur. Cependant cette méthode peut détecter des réponses faussement positives. Afin de les écarter nous avons calculé de la même manière les distances Kb entre les CRBT et le barycentre des CRBT. De la même façon, si une cellule est considérée comme sensible à au moins une odeur (pour λ=1.2.3...n), le nombre λ de l'écart type σ a été augmenté paramétriquement jusqu'à ce que pas plus de 5 % des cellules soient considérées comme sensibles en utilisant le modèle CBRC. Nous avons donc conservé la valeur de λ extraite de l'équation (2) et l'avons utilisée pour satisfaire aux conditions de l'équation (1). Cela a conduit à détecter les cellules sensibles avec un risque d'erreur inférieur ou égal à 5 %.

 

 

Les oscillations gamma ont également été utilisées pour servir de cadrage aux séquences de l'activité de décharge et pour construire un ensemble de vecteurs. Dans ce cas chaque fréquence de décharge d'une cellule MT a été encadrée temporellement avec les cycles d'oscillations enregistrées sur la même tétrode. Les cycles gamma ont été ensuite réalignés à la période moyenne d'oscillation (19 ms + ou – 2 ms) sur toutes les tétrodes. Le réalignement a été identique à celui qui a été utilisé pour les cycles respiratoires.

Pour apprécier la réussite de cette classification, un essai par stimulus a été choisi comme test de base et on a fait la moyenne des essais suivants pour établir les réponses type. Les distances euclidiennes entre les diagrammes liés à chaque essai et les diagrammes liés aux divers stimuli ont été calculées, et les diagrammes liés à l'essai ont été établis en se fondant sur le modèle le plus proche (c'est à dire à celui correspondant à la prédiction du stimulus). Le pourcentage de réussite pour caractériser l'identité et l'intensité de l'odeur était la fraction d'attributions correctes par rapport au nombre total d'attributions.. Nous avons calculé ce pourcentage pour toutes les odeurs. En résumé l'algorithme crée des vecteurs modèles pour chaque stimulus basé sur une fraction de la répétition des stimulations et alors conforme le résultat de chaque essai suivant à ce vecteur modèle (en mesurant la distance euclidienne).

 

Brassage de la structure de vecteur

 

Nous avons mélangé aléatoirement la cellule de référence et l'odeur pour chaque séquence de décharge au cours des cycles respiratoires et pour chaque essai.

Construction du vecteur cumulatif concaténé.

 

La fréquence cumulée a été calculée en additionnant les vecteurs de chaque séquence consécutive dans le premier cycle respiratoire après l'apparition de l'odeur. A la fin de la période étudiée (c'est à dire le cycle respiratoire complet), le vecteur cumulatif contient les fréquences additionnées de toutes les séquences consécutives formant le cycle respiratoire. Le code concaténé consiste à concaténer chaque vecteur successif aux précédents ( à titre d'exemple, pour une séquence i la dimension du vecteur est i multipliée par le nombre de neurones dans la population). Ce vecteur garde ainsi l'historique des activités pendant toutes les séquences après l'apparition de l'odeur.

Afin d'établir un ensemble de données pour les souris éveillées (non anesthésiées), nous avons utilisé cinq essais par stimulus. Nous avons cherché à savoir si la différence des performances observées entre le code cumulatif et le code concaténé pouvait être lié à un sous-échantillonnage, en particulier dans le cas d'une séquence de temps très courte. Nous avons alors établi un second ensemble de données en utilisant 20 essais par stimulus odorant. Nous avons calculé où se situait la prévision maximale pour le premier cycle après la réception de l'odeur en faisant varier le nombre d'essais de 3 à 20 et en utilisant différentes longueurs de séquences (intervalles) pour calculer le vecteur de population. Nous avons observé que la performance de prédiction des deux codes évoluait de façon similaire pour différents nombres d'essais indépendamment de la séquence observée. Ceci exclut que la différence de performance des deux codes soit due à un sous-échantillonnage.

 

RESULTATS

 

Pour les cellules mitrales enregistrées chez les souris éveillées, les odorants conduisent à une faible variation de la fréquence de décharge.

 

Afin d'étudier les mécanismes potentiels de codage dans les cellules M/T qui sous-tendent la représentation des odeurs, nous avons enregistré des ensembles de neurones dans le bulbe olfactif de la souris à la fois chez les sujets anesthésiés et chez les sujets éveillés (non anesthésiés). La fréquence de base moyenne pour les décharges de neurones enregistrés était de 15,4 + ou – 14,3 (moyenne + ou – écart type) pour les animaux anesthésiés et de 14,2 + ou – 14,6 pour les animaux éveillés (pas de différence entre les distributions de Kolmogorov-Smirnov, P>0,5). Chez les souris anesthésiées, les odorants entraînaient des réponses claires pour certains neurones (environ 40 % des cellules. Voir ci-dessous ) ainsi qu'il est montré dans l'histogramme du temps correspondant au stimulus (PSTH) pendant la durée d'un cycle respiratoire. Nous avons observé une augmentation ou une diminution de la fréquence de décharge après le début de la présentation de l'odeur (voir exemples représentatifs). En revanche chez les souris éveillées, le même ensemble de stimuli a entraîné des changements faibles ou inexistants de la fréquence de décharge. Nous avons donc déterminé si les neurones enregistrés avaient répondu aux substances odorantes. Pour cela nous avons mesuré à chaque cycle respiratoire le pourcentage de cellules qui ont modifié grandement leur fréquence de décharge pour au moins un sur sept des odorants testés (voir Méthode). Pour les souris anesthésiées, une large fraction des cellules M/T (environ 40 % pour 102 neurones testés) répondaient de façon significative à au moins un odorant(Fig 2E). En revanche, pour les souris éveillées, le pourcentage des souris qui répondaient a été inchangé pendant l'application de l'odorant (figure 2F ; 1,92 % + ou – 0,44 S.D. pour les périodes de référence Et 1,69 % + ou - 0,64 pour les périodes d'exposition à l'odeur ; n=130 neurones). ) . Ainsi les neurones M/T enregistrés chez les souris éveillées répondent beaucoup moins aux odorants par un changement de fréquence.

 

Il s'ensuit que chez les souris éveillées, soit une fraction importante des cellules M/T ne sont pas activées par les odorants et n'apportent pas d'informations sur le stimulus, soit les cellules répondent et encodent le stimulus sans changer fortement leur fréquence de décharge (c'est à dire que les changements de la fréquence liés à l'odeur par rapport à la fréquence de base calculés sur un cycle respiratoire ne sont pas significatifs : Fig 2F). Nous avons exploré la capacité des ensembles neuronaux à coder l'information sensorielle. L'activité d'ensemble a été quantifiée en utilisant la représentation d'un vecteur de population, méthode (décrite ci-dessous) déjà utilisée avec succès pour l'analyse du codage (22),(32),(33),(34),(35).Pour chaque neurone, sa fréquence de décharge a été calculée pendant une séquence spécifique et a été représentée par un vecteur individuel. Chaque cycle respiratoire a été divisé en 8 séquences de durée équivalente (50 ms pour les souris anesthésiées, 40 ms pour les éveillées).L'évolution temporelle de l'ensemble des décharges pour chaque essai d'odeur est ainsi décrite par une série chronologique de vecteurs. Afin de tester les capacités de codage réelles de l'activité de la population de neurones nous avons utilisé, à titre d'essai de base unique, un algorithme de classification basé sur la similarité des vecteurs de population (voir Méthodes). Pour les souris anesthésiées, la courbe prédictive correcte fluctuait entre à peu près 30 et 60 % à la fois à l'intérieur de chaque cycle respiratoire et d'un cycle à l'autre (fig 2G, premier cycle max 52 % et, en moyenne, 37 + ou – 10 % S.D.). Ces valeurs sont beaucoup plus importantes que celles dues au hasard (14%), confirmant que l'activité de la population pouvait être utilisée pour décoder l'information du stimulus (pour un seul essai). Chez les souris éveillées la prédiction correcte était étonamment différente (voir Fig 2F) de celle due au hasard et même supérieure aux valeurs obtenues chez les animaux anesthésiés (fig 2H,premier cycle max 77 % et la moyenne 54+ ou – 17 % S.D.). En résumé une grande partie des cellules M/T chez les animaux éveillés répondent aux odorants et apportent assez d'informations sur l'identité du stimulus pour le discriminer ensemble alors qu'elles ont une fréquence de décharge invariante en moyenne pendant le cycle respiratoire.

 

Chez les souris éveillées , les odorants modulent la place du potentiel d'action dans le cycle respiratoire.

 

Pour coder l'information du stimulus tout en gardant une fréquence de décharge constante, les neurones individuels doivent apporter de l'information en ajustant la place du potentiel d'action (pic d'activation) à l'intérieur du cycle respiratoire. Il s'ensuit donc que c'est à la condition que le réseau bulbaire contienne assez de neurones MT entrant ensemble en activité qu'une telle information peut être lue par les centres supérieurs du cerveau. Afin de mieux détecter les changements d'activité selon l'odeur évoquée, nous avons quantifié le nombre de cellules sensibles à l'odorant qui contribuent au code de la population en utilisant une méthode qui ne prend pas seulement en compte la fréquence de décharge mais aussi la redistribution des moments des trains de potentiels d'action dans le cycle respiratoire. Nous avons divisé chaque cycle respiratoire en 8 séquences d'une durée égale de 40 à 50 ms. Ce procédé permet la représentation dans le temps des séries de réactions moyennes aux odeurs par un vecteur temps à huit dimensions (c'est à dire pour une séquence consécutive de CR). Pour chaque neurone nous avons ensuite calculé un composant d'analyse principal (CAP) sur toutes les moyennes d'essais d'odeurs (voir méthode). Dans l'espace des CAP les activités de base et celles liées à la population de neurones activés par l'odeur évoquée apparaissent comme des points représentant chaque CR.

 

Pour trouver des changements significatifs dans les schémas d'activation après l'application de l'odeur, il faut tenir compte de la variation stochastique des potentiels d'action pour chaque neurone. Pour déterminer lesquelles des réponses à l'odorant sont significativement différentes des valeurs initiales, nous avons utilisé pour déterminer la moyenne de chaque essai un cadre tenant compte des fluctuations de la référence (voir méthode et figure 1). Pour les cellules enregistrées chez les animaux anesthésiés, l'activité pendant le cycle respiratoire correspondait à l'activité de base (c'est à dire que les points colorés étaient à l'extérieur du nuage noir), résultat tout à fait cohérent avec les grands changements de fréquence liés à l'exposition à l'odeur. En revanche, chez les souris éveillées, l'ensemble des points (c'est à dire pour la période de base et pour la période d'exposition à l'odeur) est plus compact que pendant la période d'exposition à l'odeur seule. Certaines séquences du cycle respiratoire sont clairement dans l'espace situé à l'extérieur du nuage de base, ce qui est compatible avec l'idée que les neurones ont répondu à ces substances odorantes. Pour identifier ces neurones sensibles nous avons déterminé les cycles respiratoire au cours de la période d'application de l'odeur qui étaient suffisamment éloignés de l'activité de base pour être considérés comme différents et alors affectés par l'odeur. Pour estimer le nombre de neurones donnant de fausses réponses positives, nous avons également effectué l'analyse sur plusieurs périodes de base. Nous avons fixé un seuil de déviation standard à partir duquel nous ne détectons pas plus de 5 % de réponses faussement positives par rapport à la période de base (fig.1 et 3 C-D). Après quantification, 64 % des cellules MT chez les souris anesthésiées et 29 % chez les animaux éveillés sont apparues sensibles à au moins un odorant. Nous concluons que quelques neurones enregistrés chez les souris éveillées répondent aux odorants en modifiant leur fréquence de décharge à l'intérieur du cycle respiratoire.

 

Efficacité de l'information de codage de l'odeur pour la population de cellules MT à fréquence de décharge invariante.

 

 

Nous nous sommes ensuite posé la question de savoir si toute la population de cellules est impliquée dans le codage de l'information sur le stimulus. Pour répondre à cette question, nous avons construit un vecteur de population pour un intervalle de temps correspondant à la période d'oscillation gamma (16 ms, 60 Hz) que nous avons utilisé pour calculer la courbe correcte de prédiction du stimulus. De telles oscillations sont provoquées par les odeurs dans le bulbe olfactif (voir 6 D) et ont été envisagées comme une manifestation du traitement sensoriel. Chez les animaux anesthésiés comme chez les animaux éveillés, les valeurs prédites étaient largement au-dessus de celles dues au hasard. En outre le niveau maximal de prédiction décroissait dans cette courte fenêtre de temps quand on le comparait aux intervalles de temps plus longs présentés auparavant (comparer les Fig. 2 G-H et 4 A-B). L'activité de décharge de la population est donc suffisamment précise pour coder l'identité de l'odeur à 60 Hz.

 

 

Nous avons ensuite calculé la courbe de prédiction correcte en utilisant une population de 37 des 102 neurones enregistrés chez les animaux anesthésiés en excluant les neurones sensibles (identifiés dans la Fig 3). Comme prévu les performances ont décru pour rejoindre le niveau du hasard. Chez les animaux éveillés en revanche, après avoir enlevé les cellules sensibles, les performances sont restées au-dessus du niveau du hasard (Fig. 4 D, maximum=45 %, n=92 cellules restant dans la population). Pour éliminer la possibilité que ce résultat soit dû à la différence de cellules utilisées dans les assemblées de cellules, nous avons choisi au hasard le même nombre de cellules dans la population des animaux éveillés et dans celle des animaux anesthésiés (soit n=37) et nous avons classé les résultats pour ce sous-ensemble de cellules. Nous avons effectué ce processus de choix aléatoire 10 fois afin de collecter à chaque fois un sous-ensemble différent de cellules (Fig ; 4E). La courbe de prédiction moyenne est restée encore nettement au-dessus du hasard (fig ; 4E, max 40+ ou – 6%). Ces résultats mettent en évidence que les cellules qui sont habituellement négligées en raison de leur faible variation de fréquence de décharge et sont considérées comme non sensibles peuvent encore contribuer au code neural comme le révèle l'analyse de la population.

 

Chez les souris éveillées, les cellules à fréquence de décharge invariante contiennent assez d'informations pour coder autant les caractéristiques d'une odeur que les assemblées de cellules. Les schémas de décharge pour l'ensemble de la population trouvés à chaque essai sont suffisamment caractéristiques pour prédire l'identité du stimulus. Par conséquent chaque cellule peut être précisément programmée pour s'activer dans le temps (au moins pendant un intervalle de 16 ms) pour aboutir à un schéma d'ensemble de réactions propre à l'odeur évoquée. Pour vérifier l'importance de la synchronisation des décharges , nous avons changé à l'intérieur du cycle respiratoire le schéma de fréquence des potentiels d'action pour tous les neurones enregistrés. Pour cela nous avons mélangé aléatoirement les intervalles de 16 ms à l'intérieur de chaque cycle respiratoire pour chaque essai, tant au niveau de l'odeur évoquée que de la cellule enregistrée. Avec un tel brassage de population la capacité de prédire l'identité du stimulus a disparu (les performances relevées sont maintenant au niveau du hasard).

Prises ensemble, ces données indiquent que le moment précis de la décharge dans la population neuronale est essentiel pour encoder avec précision l'identité de l'odorant.

 

Impact de la durée de la fenêtre de temps pour les différents mécanismes de décodage.

 

Les conclusions précédentes ont souligné l'importance de l'information temporelle pour encoder l'identité de l'odorant par les différentes assemblées de cellules. Cependant pour comprendre l'échelle de temps à laquelle l'activité de la population est la mieux prédictive et pour évaluer des types de codage (par exemple fréquence cumulée ou modulation temporelle) nous avons fait l'analyse suivante en variant la durée de la fenêtre de lecture. Puisque les animaux sont capables de prendre une décision sur l'identité de l'odorant en une seule inspiration ( environ 200ms, (41),(42),(43),(44),(45),(46)), nous avons effectué l'analyse sur le premier cycle de respiration et nous avons fait varier paramétriquement la durée de la fenêtre d'analyse. Nous avons calculé la courbe de prédiction du stimulus, soit dans un intervalle de temps individuel (instantané), soit en additionnant (cumulatif), soit en concaténant (concaténé) les intervalles au fil du temps. La lecture instantanée serait semblable à la lecture d'une capture d'écran dans laquelle chaque point apporte une information indépendante. En revanche la lecture de l'information à travers le temps prend en compte l'histoire passée. Nous avons considéré deux modèles : un premier présentant l'accumulation des potentiels d'action dans le temps (fréquence cumulée) et un second développant l'information contenue dans la séquence d'activité ( c'est à dire ses caractéristiques temporelles) en effectuant la concaténation de chaque population de vecteurs selon les intervalles de temps successifs. Le dernier modèle présente l'information contenue dans les menus détails de l’activité temporelle et qui serait perdue si on ne prenait en compte que la moyenne des vecteurs. Dans les intervalles de temps individuels (lecture instantanée), la prédiction correcte de l'odeur croît lorsqu'on élargit la durée de la fenêtre de temps en atteignant un maximum d'environ 80 % pour des intervalles de temps de 100 ms et ensuite elle décroît (fig 5A – B). Pour les fenêtres de temps inférieures à 50 ms, la prédiction décroît jusqu'à atteindre une valeur comparable à la valeur initiale à des échelles de temps proche de la pointe de synchronisation (3 et 5 ms) (fig 5b). En revanche lorsque l'histoire évolutive de l'activité de décharge au cours du temps est prise en compte (cumulative ou concaténée) l'information peut être extraite à ces échelles de temps et atteindre jusqu'à 80 % de valeur prédictive (fig 5A.B). Nous avons observé cependant une différence notable entre entre la fréquence cumulée et les codes concaténés. La prédiction maximale atteinte dans le cycle de respiration pour l'analyse des fréquences reste stable pour tous les intervalles de temps de courte durée (fig.5A, panneau supérieur gauche et fig.5B). Il est intéressant de noter que pour les intervalles de temps inférieurs à 10 millisecondes la prédiction décroit et devient même inférieure à celle qu'elle est avec le code formé par la fréquence cumulée. Par conséquent au cours du cycle respiratoire la prédiction maximale du code produit par la fréquence cumulée est plus résistante à la présence du bruit très fluctuant à une échelle de temps réduite mais est moins prédictive que le code concaténé à des échelles de temps plus longues que 100 millisecondes

 

De plus la courbe de prédiction évolue différemment durant le cycle respiratoire pour chacun des codes, un paramètre qui pourrait avoir de l'importance pour le comportement de l'animal lorsque l'on considère le compromis entre la vitesse observée et la précision dans la discrimination des odeurs. Le modèle concaténé atteint plus rapidement la prédiction maximale pour des fenêtres spécifiques (par exemple 12 ms ; fig 5A, panneau supérieur droit) que ne le fait le modèle cumulatif. Nous avons d'ailleurs quantifié cette différence de performance en représentant la distance entre les deux courbes de prévision des deux codes différents pour différents intervalles de temps. Nous avons effectué cette analyse pour trois parties du cycle respiratoire (à partir de l'apparition de l'odeur, soit 100 ms, à 200 ms et à la fin du cycle respiratoire). Dans tous les cas, le code pour la fréquence cumulée était un meilleur prédicteur à des échelles proches du moment de la fréquence maximum mais il devenait moins efficace pour des fenêtres de temps de 6 à 50 millisecondes. Nous avons également observé que le pourcentage de prédiction augmentait lorsqu'on considérait les parties antérieures du cycle respiratoire, ce qui reflète que la prédiction due au au code concaténé atteint ses performances les plus grandes directement après l'apparition de l'odeur. A des échelles de temps réduites (inférieures à 6 millisecondes) , la fréquence cumulée est meilleure pour coder les informations sur l'odorant alors que le code concaténé atteint plus rapidement des valeurs élevées de prédiction pour la lecture de fenêtres comprises entre 6 et 50 millisecondes. Pour parvenir à un compromis entre la précision et la rapidité de la discrimination, ces résultats mettent en évidence l'existence d'une fenêtre de temps de lecture optimale d'une durée de 10 à 60 ms dans laquelle l'activité de décharge peut être analysée. Nous nous sommes alors interrogés sur la nature d'une horloge interne qui pourrait être utilisée pour découper les séquences de potentiels d'action et maximiser la lecture de l'information sensorielle.

 

Il est intéressant de constater que la fenêtre temporelle optimale pour la discrimination d'une substance odorante dans le bulbe olfactif est analogue à la durée d'un cycle unique de l'oscillation gamma. Ainsi l'oscillation gamma pourrait être utilisée comme une horloge interne afin de découper et transmettre les variations de fréquence particulières des potentiels d'action émis par les cellules MT. Pour vérifier cette hypothèse, nous avons détecté les cycles gamma de nos enregistrements (fig 6A) et nous avons calculé les vecteurs de population en utilisant comme référence la durée des oscillations gamma. Sur l'ensemble des essais, les cycles gamma ont été réalignés les uns avec les autres de façon similaire à l'alignement des cycles respiratoires (voir méthode), la durée moyenne d'un cycle gamma étant de 19 ms +ou – 2 (moyenne + ou – écart type). En outre nous avons utilisé différentes parties des oscillations gamma comme points de départ pour générer des vecteurs de population différents : la période de pic à pic, le premier point d'inflexion, la période de creux à creux et le second point d'inflexion (fig 6 B). Quelle que soit la façon dont l'information ait été morcelée, nous avons observé de hautes performances de prédiction à la fois pour le code concaténé et pour le code cumulatif. Cela confirme que l'oscillation gamma pourrait agir comme un cadre qui permettrait de convoyer assez d'informations pour discriminer les différents stimuli. En outre le choix de la référence de temps est important car il peut permettre de recueillir le maximum d'informations pour le code considéré. En effet nous avons observé que ce code est très sensible à la phase gamma choisie pour calculer le vecteur de population. La partie du cycle gamma qui est la plus informative commence avec la phase ascendante d'une oscillation gamma. Ces résultats suggèrent que l'information sur l'identité odorante peut être découpée par des cycles d'oscillations gamma dont chacun peut agir en tant que structure d'encadrage des trains de potentiels d'action.

 

En conclusion ces données suggèrent que l'information sur l'odorant issue de l'activité de la population est lue comme des paquets de potentiels d'action (c'est à dire des blocs temporels) d'une durée déterminée pour obtenir un compromis optimal entre la rapidité et la précision de l'identification.

 

DISCUSSION

 

Dans cette étude nous avons analysé comment l'information sur l'odorant est traitée dans la population de cellules MT. Contrairement aux animaux anesthésiés où les changements de fréquence sont prédominants, nous avons montré qu'une fraction importante des cellules M/T du bulbe olfactif sont des cellules à fréquence moyenne invariante pendant le cycle respiratoire et qu'elles répondent aux odorants chez les souris éveillées principalement en modifiant le calendrier de leurs décharges en se conformant au cycle respiratoire.Nous avons montré que ces neurones à fréquence moyenne invariante transmettent l'information sensorielle comme une population de cellules co-activées dans des intervalles de temps différents. Chez les animaux éveillés l'information sensorielle peut être décodée sous forme de séquences de paquets de potentiels d'action par le réseau en aval afin de parvenir à un compromis entre la rapidité et la précision de la reconnaissance de l'odeur. Nous proposons que les oscillations gamma du bulbe olfactif agissent comme une horloge interne pour encadrer les séquences de paquets de potentiels d'action.

 

La sensibilité aux odorants des cellules MT chez les souris éveillées.

 

De nombreuses études chez les souris anesthésiées montrent qu'un grand pourcentage de cellules MT ont répondu aux odorants par des changements dans leur fréquence de décharge. Chez les animaux éveillés nous avons confirmé à un niveau plus étendu de population une réduction globale de la fréquence de décharge liée à la réponse à l'odorant. Dans cet ensemble de données aucune cellule MT n'a montré un changement significatif de fréquence lié à l'évocation de l'odorant. Mais les cellules répondent aux odorants en redistribuant leurs potentiels d'action à l'intérieur du cycle, comme nous venons de le décrire pour certains neurones (32) (48)

 

Pourquoi n'a-t-on pas trouvé que chez les animaux éveillés les cellules répondant de façon significative par un changement moyen de fréquence dans un cycle respiratoire ? Si nous considérons des intervalles de temps plus courts, il est possible que certaines cellules montrent un changement de fréquence transitoire dans une phase du cycle qui n'apparaîtrait pas dans la moyenne lorsqu'on considère l'ensemble du cycle. Cependant il est difficile d'extraire statistiquement une telle période sur un petit nombre d'essais (cinq pour les souris éveillées) et sans tenir compte du fait que la fréquence de décharge fluctue substantiellement dans les différentes partie du cycle (même dans le cycle de référence). Les neurones peuvent également afficher des changements de fréquence de décharge faibles et transitoires et an-dessous des fluctuations intrinsèques dans le cycle de base. Au niveau de toute la population, ces petits ajustements de fréquence pourraient être détectés et utilisés en aval par les centres cérébraux ainsi que nous le montrons dans notre analyse comme un moyen de prédire l'information sensorielle en utilisant des codes de fréquence durant de longs intervalles d'analyse couvrant la durée de l'inspiration.

 

Nous ne prétendons surtout pas qu'aucune des cellules MT ne change leur fréquence de décharge pendant la présentation de l'odorant comme cela a pu être observé pour quelques neurones. Que nous n'ayons pas observé de fortes variations de fréquence peut être dû à différentes raisons. D'abord les différentes cellules MT enregistrées dans différentes parties du bulbe olfactif peuvent montrer des profils de réponse différents (nous avons enregistré principalement des cellules dans la partie dorsale). En second lieu le nombre de répétitions par stimulus odorant peut constituer une autre différence. Dans notre étude, nous avons seulement effectué quelques essais par odorant alors que, dans d'autres études, plusieurs centaines d'essais ont été effectués et parfois pendant des tâches comportementales. Faire un petit nombre d'essais peut conduire à sous-estimer le nombre de cellules qui ont changé leur cadence de décharge de façon significative. En augmentant le nombre d'essais, on aurait pu aussi détecter des formes de plasticité à court terme. En outre la réponse des cellules MT chez les animaux engagés dans une tâche comportementale peut être modifiée par les centres de neuromodulateurs. Enfin les concentrations et la nature des substances odorantes utilisées (monomoléculaires ou mélanges) peut être une autre source de variabilité. En effet nous avons constaté que certains neurones présentaient des modifications de leur cadence de décharge lorsque nous utilisions des odorants monomoléculaires à des concentrations plus élevées (données non présentées).

 

En résumé les cellules MT peuvent montrer des comportements complexes suivant l'odorant présenté. Alors que quelques neurones peuvent montrer des changements de fréquence évidents, une grande fraction de la population peut encore répondre aux stimuli par des changements dans leur calendrier de décharge à l'intérieur du cycle respiratoire. En conclusion, tandis que beaucoup de cellules MT chez les souris éveillées ont d'abord été considérées comme non sensibles et dispersées par l'analyse des fréquences, on s'aperçoit qu'en fait elles répondent aux odorants dans des structures temporelles, contribuant ainsi au codage sensoriel.

 

Implication pour le codage

 

On a supposé que les cellules MT pouvaient coder les odeurs en modifiant fortement leur fréquence de décharge mais pour seulement quelques séquences odorantes, ce qui implique que les cellules soient étroitement coordonnées et que le code d'odeur soit dispersé entre elles. Cependant ces études ne prennent pas en considération les neurones dont la fréquence de décharge ne varie pas et qui sont communément considérés comme insensibles, et donc ne comportant pas d'information qui se rapporte à l'identité de l'odorant. Nous avons montré pourtant que ces ensembles de neurones à oscillation invariante peuvent coder l'identité de l'odorant avec une grande précision. En effet nous avons fait la frappante découverte que la population des cellules insensibles (environ 70%) contribuait au code neuronal et que l'activité d'ensemble pouvait être utilisée pour prédire les stimuli présentés. Par conséquent l'analyse effectuée à un niveau cellulaire unique sous-estime le pourcentage de cellules qui peuvent contribuer au transfert des informations sensorielles. Ce résultat met en évidence que déduire le code neuronal en se basant sur le profil de réponse de cellules uniques tend à ne donner qu'une vue partielle de la façon dont l'information sensorielle est traitée.

 

Alors que les neurones individuels ne changent pas leur décharge de fréquence globale, comment le réseau du bulbe olfactif peut-il coder l'information sensorielle ? Une stratégie consiste à coder l'information sensorielle par synchronie croissante (3) (4)(5). Des études théoriques ont montré que les neurones peuvent coder l'information sensorielle en synchronisant leurs potentiels d'action sans modifier de façon significative leur fréquence de décharge. Des études expérimentales sur le système olfactif des insectes appuient le rôle de la synchronie dans le codage de l'odeur, bien que les neurones qui affichent de fortes variations de fréquence peuvent aussi contribuer à ce codage. Dans notre étude, nous n'avons pas pu évaluer précisément la synchronie entre les neurones à l'échelle de temps d'un pic de fréquence individuel puisque nous avons utilisé un nombre limité d'essais par stimulus. Des expériences futures avec un plus grand nombre d'essais seraient nécessaires pour évaluer plus précisément l'influence de la synchronie pour coder l'information de l'odorant dans les diverses parties du cycle. Bien que les synchronies entre les pics de décharges peuvent être importantes nous proposons un mécanisme de coordination légèrement différent. Nous suggérons que les cellules MT agissent comme des assemblées de cellules transportant l'information sur l'odorant en ajustant finement des séquences de potentiels d'action sur la durée du cycle respiratoire. En conséquence les performances de décodage réalisées par le réseau en aval seraient fortement influencées par la durée de la fenêtre de lecture.

 

Fenêtre de temps spécifique pour la lecture du code temporel

 

De quelle façon les réseaux en aval tels qu'ils existent dans le cortex piriforme peuvent-ils lire les informations entrantes ? Comme dans un autre système (15) (16), le décodeur peut avoir besoin d'une référence pour intégrer les informations sensorielles. Évidemment une référence essentielle est le début de la stimulation sensorielle mais d'autres points de référence dans le temps peuvent être nécessaires au réseau de décodage pour maximiser l'information de lecture. Nous avons défini ces fenêtres de lecture optimales pour différentes stratégies de codage. Le code pour lire la fréquence de décharge instantanée conduit à une baisse de performance de prédiction pour les fenêtres d'analyse courte (inférieure à 50 ms) et atteint le niveau du bruit de fond (pour 4 ms). En calculant un nombre de fréquences cumulatif ou un vecteur concaténé (une séquence temporelle), nous avons montré cependant que les deux stratégies de codage conduisent à une augmentation de la prédiction de l'identité odorante à une échelle de temps plus courte que le code de fréquence instantané. Nous avons en outre indiqué que le code concaténé fonctionne mieux dans la première phase du cycle respiratoire, celle qui correspond à la phase d'inspiration. Ce résultat est en accord avec une étude récente qui a montré qu'un modèle concaténé est plus efficace qu'un modèle à fréquence cumulée pour encoder les odorants dans une fenêtre de lecture de 20 à 40 millisecondes chez les rats entraînés à une tâche de discrimination entre deux choix. Notre étude ajoute deux observations importantes aux résultats de cette étude. D'abord chez les souris non entraînées nous avons atteint un grand niveau de prédiction en utilisant des populations de neurones à fréquence de décharge invariante et en utilisant peu d'applications de l'odorant (5 essais contre plusieurs centaines par stimulus). Cette situation se rapproche le plus du comportement olfactif naturel où une odeur est reconnue par des animaux non entraînés et permet d'éviter les remodelages possibles de l'activité après des comportements liés à l'entraînement et des applications répétées de l'odorant. Deuxièmement nous avons mis en évidence une diminution rapide des performance du modèle concaténé près de la limite inférieure de la fenêtre de temps ( moins de 6 ms), fenêtre que nous n'avons pas étudiée. Ce système de codage apparaît devenir trop sensible au bruit et voit ainsi ses performances de prédiction diminuer de façon drastique, alors que celui à fréquence cumulée reste stable et atteint un niveau de performance élevé.. Au-delà des limites de cette fenêtre, la fréquence instantanée ou le code de fréquence cumulée donne de meilleures performances que le code concaténé.. Cependant aucun d'entre eux n'atteint le niveau de performance du code concaténé dans la fenêtre optimale de lecture pendant la phase inspiratoire (80 à 100 ms)

 

Par conséquent le cortex olfactif peut décoder les signaux en provenance du bulbe olfactif sous forme de trains de potentiels d'action compris dans des fenêtres de 12 à 50 ms.. Cette échelle de lecture particulière permet au système d'atteindre un compromis optimal entre la rapidité et la précision de la reconnaissance de l'odeur, comme ce qu'on observe dans le comportement de l'animal (43).

 

Il s'en suit que, pour obtenir le compromis optimal entre la précision et et la vitesse que l'on observe au cours du comportement, le cortex olfactif peut décoder les informations en provenance du bulbe olfactif dans des segments de temps successifs de 12 à 50 ms tout en conservant les informations des trains de potentiels précédents.. Il est intéressant de noter que les signaux des synapses en provenance des cellules M/T de différentes unités glomérulaires coïncident avec un pic d'activité des cellules pyramidales du cortex piriforme pendant cette durée particulière.

 

De plus la durée de la fenêtre du temps de lecture optimal correspond à la durée d'un cycle d'oscillation gamma ou à la durée d'un cycle d'oscillation bêta rapide. Les oscillations gamma sont couramment observées dans le bulbe olfactif et sont considérées comme essentielles pour le traitement de l'odeur.(10),(36),(37),(38),(40),(53),(54),. (55). Ainsi elles peuvent servir pour déterminer un cadre temporel fixe aux trains de potentiels d'action. In vitro, les oscillations gamma améliorent la fiabilité du chronométrage de ces trains, et accroissent la discrimination entre les odeurs. La phase ascendante de l'oscillation semble régler l'activité de décharge et optimiser l'information contenue dans le stimulus(10),(36),(37),(38),(40),(53),(54),(55). Nos résultats fournissent une vue similaire et montrent que l'oscillation gamma peut jouer le rôle de la référence interne pour déterminer la longueur des segments d'activité de décharge dans la population neuronale. Par ailleurs nous avons observé que la variation de la référence interne qui est définie par la phase d'oscillation gamma change aussi l'information qui est contenue dans les trains de potentiels.. Ainsi la phase ascendante du cycle gamma conduit à la discrimination maximale de l'odeur pour le code concaténé. Des travaux récents sur le cortex piriforme ont montré que les neurones pyramidaux sont fixés en phase avec avec les oscillations bêta du potentiel du champ local enregistrés dans le cortex (56). Fait intéressant, différents neurones corticaux préfèrent décharger à des phases différentes de l'oscillation bêta LFP. Il est possible que les variations de la phase préférée puissent correspondre aux capacités différentes des neurones corticaux d'intégrer les paquets de décharge fixés par les différents cycles de l'oscillation gamma dans le bulbe olfactif. Quoi qu'il en soit, la façon dont les décharges des cellules MT sont convoyées au cortex piriforme et intégrées à des fréquences plus larges a encore besoin d'être pleinement comprise. En conclusion nous avons montré qu'une fraction importante des cellules M/T peuvent coder les odorants sans changer leur fréquence globale de décharge. Ces cellules forment des assemblées de cellules coordonnées dans le temps. Nous proposons que les informations sensorielles transportées par ces assemblées soient intégrés à des schémas temporels de décharge qui ne peuvent pas être analysés par le cortex de façon indépendante mais dans des segments de trains de potentiels d'une durée spécifique. Les oscillations gamma peuvent représenter un cadre temporel de référence avantageux

pour déterminer les fragments successifs des trains de potentiels.L'information serait décodée de façon optimale à partir de la séquence totale des segments pendant la période de l'inspiration, offrant ainsi un compromis entre la rapidité et la précision de la discrimination.

 

 

 

 

 

 

Cette traduction a été effectuée à l'aide du traducteur automatique Google. Elle est bien sûr à revoir et à corriger. Toutes propositions seront bienvenues.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
8 juin 2013 6 08 /06 /juin /2013 05:33
Poème d'Aragon, d'hier ou d'aujourd'hui.
Partager cet article
Repost0
8 juin 2013 6 08 /06 /juin /2013 04:36
Poème d'Aragon, d'hier ou d'aujourd'hui
Partager cet article
Repost0
7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 16:29
il ya des bonnes âmes qui disent : "il faut dissoudre les groupes fachos mais à la condition express de dissoudre aussi les groupes antifachos". On peut répondre à cela avec bon sens :"Mais si on dissout les groupes fachos, les groupes antifachos n'auront plus de raison d'être !" Reste une question délictate : "Comment reconnaît-on un groupe facho d'un groupe qui ne l'est pas ?"....... (réponse dans la vidéo)

 

Partager cet article
Repost0