Les primaires socialistes ont été un incontestable succès. Elles ont captivé l'opinion, occupé les médias, mobilisé les militants socialistes et beaucoup de sympathisants pendant plus d'un mois. Il y a eu quatre grands débats télévisés, trois avec tous les candidats du premier tour et un face-à-face Hollande-Aubry particulièrement suivi.
Pour la première fois ces primaires étaient ouvertes. Tous ceux qui se reconnaissent de gauche pouvaient y participer. Et, de fait, la participation a été très forte. Près de trois millions d'électeurs hors d'une consultation électorale nationale et classique, c'est proprement inédit.
Les échanges ont été vifs pendant la campagne d'alors. Dans le face-à-face du second tour, Martine Aubry a très fermement exigé que le candidat socialiste s'engage pour un réel changement, s'appuie fermement sur le "peuple de gauche", oeuvre réellement pour l'égalité comme la première secrétaire s'y est engagée en président à l'élaboration du programme socialiste.
Les électeurs ont tranché. Hollande a été désigné candidat socialiste non par l'appareil du parti, non même par ses militants mais par cette primaire ouverte à toute la gauche, dont il a désormais la tâche d'incarner l'espoir.
On aurait pu penser que, dans ces conditions, Jean-Luc Mélenchon renonçât à se présenter, que le mouvement très fort de réconciliation des socialistes après le rude débat qui venait d'avoir lieu ne fût pas gâché par la candidature d'un représentant du front de gauche très critique envers les socialistes et qui risquait de faire renaître la division dans le camp de l'alternance tant souhaitée. On aurait pu penser que le Front de Gauche eût mis son énergie, non pas à soutenir à fond Hollande dont le programme se distingue quand même passablement du sien, du moins à préparer les prochaines législatives qui, si Hollande est élu, vont être décisives pour l'orientation de son mandat.
Mélenchon s'est présenté, c'est un fait que je regrette mais dont je prends acte. Seulement attention ! Il y a eu un esprit des primaires qui a prévalu, c'était d'abord celui de ne jamais compromettre par des attaques internes à son camp, son unité et sa crédibilité vis-à-vis des Français. Nous savons la fragilité des sondages, la versatilité de l'opinion, la hargne de Sarkozy, son aptitude à faire feu de tout bois pour gagner des suffrages, à allécher par des promesses, à jouer avec la xénophobie, à mener des coups tordus, à profiter de tous les aléas, du fait divers à la crise internationale (qui peut être guerrière avec les menaces pesant sur l'Iran) pour se poser en père prodigue, justicier ou sauveur. Tout cela doit inciter à la retenue ceux qui, à gauche, voudraient gagner des voix en utilisant Hollande comme un punching ball. Mélenchon l'a fait et risque de le refaire. Je ne nie pas qu'il représente des gens exaspérés par la situation actuelle qui leur est faite, très incrédules sur les capacités du système à se réformer véritablement pour aboutir à une réelle justice. Je ne nie pas la colère sociale et la nécessité de changements radicaux. Mais je suis de ceux qui pensent que manquer le rendez-vous du six mai serait catastrophique, instaurerait une désespérance à tous risques face à un Sarkozy plus libre de tout abus que jamais.
Il en est, je le sais, qui disent que Mélenchon, par sa virulence contre le système, peut justement retenir ou ramener à gauche ceux que cette désespérance oriente vers l'extrême droite. Attention qu'il n'y ait pas cependant de concours de démagogie. D'autres disent que Mélenchon pourra pousser au vote ceux qui, désabusés, allaient s'abstenir. J'en conviens si l'on veut. Mais parcourant les articles, les billets, les blogues, je lis des phrases inquiétantes, comme celles de Yéti :"Le seul vote vraiment utile qui vaudra, ce sera Mélenchon au premier tour !...J'explique. J'irai pas voter pour votre Hollande au second tour. J'irai pas. Et je vous fiche mon billet que je ne serai pas le seul à gauche..." Ce sera la responsabilité de Mélenchon, non seulement de ne pas encourager implicitement une telle attitude en présentant de Hollande une caricature perpétuelle mais de la combattre clairement par avance. Si Hollande, comme je l'espère malgré tout, parvient au second tour, il ne faudra pas qu'il lui manque des voix à gauche comme il en a manqué à Jospin en 1995, en 2002 (si on peut dire !...) ou à Royal en 2007.
Bien sûr je ne demande pas à Mélenchon de faire l'accolade à Hollande au soir du premier tour comme Aubry l'a fait la nuit 16 octobre. Mais, même s'il n'a pas participé aux primaires, d'en retrouver l'esprit et de le garder... au moins jusqu'au 6 mai !